45% des dirigeants de PME se sentent isolés, 26% entourés


"Vaincre les solitudes du dirigeant", Le Lab Bpifrance, octobre 2016

Méthodologie : l’étude s’est appuyée sur 3 piliers méthodologiques :

un questionnaire envoyé par courrier postal à 30 000 dirigeants de PME et d’ETI en janvier 2016 et composé de 30 questions sur l’entreprise, le profil du dirigeant, son entourage, sa perception de la solitude et les actions entreprises pour la rompre. 2 398 réponses exploitées.

Les moins de 50 salariés constituent 76% des répondants (dommage que n’ont pu être repérées les plus petites entreprises); les 50 à 249 salariés, 19% et les ETI, 5%. 31% sont dans le commerce, 26% dans l’industrie, 16% dans la construction, 7% dans les services aux entreprises et 6% dans les transports. 89% des répondants sont des hommes; 74%  ont entre 40 et 60 ans.

des entretiens qualitatifs en face-à-face, menés auprès de 20 dirigeants et de 10 experts (sociologues, psychologues, psychanalystes, coaches, etc.)

une recherche documentaire menée conjointement sur la thématique de la solitude des dirigeants et les sujets connexes (leadership, santé des dirigeants, exercice du pouvoir, etc.).  

 

66% des dirigeants sont satisfaits de leur travail (77% les 250 salariés et plus) 13% insatisfaits et 22% ni satisfaits, ni insatisfaits. Noter que 72% travaillent au moins 60 heures par semaine (dont 10% 70 heures et plus, 21% 60 à 70 heures et 41% de 50 à 60 heures), contre 24% de 40 à 50 heures.

 

→ Un 1er constat “global”

-68% des dirigeants sont actionnaires uniques ou majoritaires, 19% actionnaires minoritaires et 12% non actionnaires;

-53% dirigent seuls, 38% partagent la direction, 9% sont sous l’autorité d’un tiers; ils se disent plutôt adeptes d’une direction participative, communicante. hors les managers, 17 à 25% seulement ont mis en place un conseil d’administration.

-91% s’appuient sur une personne de confiance au sein de l’entreprise (30% un cadre, 29% un membre de la famille, 22% un salarié non cadre, 18% un associé). hors les managers, 35-36% seulement ont mis en place un comité de direction. Noter que 84% sont mariés ou en concubinage, 11% divorcés ou veufs et 5% célibataires

-En ce qui concerne les conseils extérieurs, les plus sollicités sont l’expertise comptable, le juridique et l’informatique :

60% sont satisfaits des prestations, 5% satisfaits et 35% ni satisfaits, ni insatisfaits; plus les dirigeants recourent aux conseils et plus ils en sont satisfaits; moins ils y recourent, moins ils en sont satisfait.  

 

Si le taux de recours aux expert-comptables dépasse les 80%, en revanche celui à d’autres types de conseil est bien plus modeste (35% des dirigeants de petites entreprises, 44% des dirigeants de moyennes entreprises et 55% des dirigeants d’ETI ont eu recours à un conseil en organisation ou stratégie, au cours des 3 dernières années.

 

Les petites et moyennes entreprises ont plus de réserves en direction des métiers de conseil du fait de 4 freins majeurs :

*le coût et surtout l’incertitude sur le rapport coût /bénéfice de la prestation pour l’entreprise *la “juniorité” des consultants dépêchés dans les entreprises

*le déficit de personnalisation de la prestation, et de compréhension de ce qu’est une PME

* la confiance, facteur essentiel pour qu’un dirigeant de PME accepte de s’ouvrir à un consultant externe.  

 

→ On y trouve 4 types de dirigeants :

 

Les entrepreneurs-fondateurs (35%) se sentent les plus isolés (45% d’entre eux) : 92% sont des hommes; Ils sont plus âgés (54 ans) que la moyenne; leur entreprise est plus petite (effectif médian : 20 salariés contre 26 salariés pour l’ensemble). 80% d’entre eux contrôlent le capital de leur entreprise ; 21% en détiennent la totalité des parts. La famille est présente à leur côté, au niveau du capital, du management ou de l’opérationnel, dans 52% des cas. 57% dirigent seuls leur entreprise. Dans les facteurs d’isolement, ils mettent plus haut que les autres les difficultés de recrutement (3éme position) après la complexité du monde et le poids des responsabilités.

 

-Les entrepreneurs-repreneurs (28%), souvent après une carrière en tant que cadre dirigeant de grand groupe. L’effectif médian de leur entreprise est de 24 salariés. 84% détiennent au moins la majorité des parts au capital de leur entreprise; 28% sont seuls actionnaires; 40% impliquent leur famille dans l’entreprise, que ce soit au niveau du capital, du management ou de l’opérationnel. 63 % d’entre eux dirigent seuls (la proportion la plus élevée). Pour rompre leur isolement, la moitié adhèrent à un réseau d’entrepreneurs (contre 45% en moyenne).

 

-Les successeurs familiaux (23%) reprennent l’affaire familiale, seuls ou avec d’autres membres de la famille. Ils sont actionnaires de l’entreprise familiale dans quasiment tous les cas (70% sont majoritaires au capital). Ils se perçoivent comme les dépositaires d’une tradition et d’une histoire familiales, et ont un sentiment de responsabilité vis-à-vis des générations passées et à venir. On y trouve la plus forte proportion de femmes (17%), ainsi que la plus forte proportion de dirigeants partageant la direction (49%), mais ils n’exercent pas un leadership très affirmé. Parmi les facteurs d’isolement, ils pointent, plus que les autres, la gestion des relations difficiles avec les salariés et la fatigue du masque. On y trouve la plus grande part d’adhérents à des activités syndicales.

 

– Les dirigeants managers (14%) sont nommés à la direction par les actionnaires de l’entreprise; dans 70% des cas, ils gèrent sous l’autorité d’un Président ou sont directeurs d’une filiale sous la tutelle d’un dirigeant évoluant à l’échelle nationale ou internationale. Ils sont associés au capital, de façon minoritaire (30% des cas). Ils sont surreprésentés dans les catégories « moyennes entreprises » et « ETI » et prônent un management participatif, axé sur les résultats. Ce sont ceux qui travaillent le moins par semaine (25% plus de 60 heures contre 30 à 33%) et sont les plus satisfaits de leur fonction (75% contre 61 à 65). Ils placent très haut, en tant que facteurs d’isolement, le manque de soutien et de relais, ainsi que la difficulté à concilier vie privée et vie professionnelle; ils sont plus nombreux que les autres à se former et à recourir au coaching.

45% se sentent isolés, 26% se perçoivent entourés : “Le dirigeant « isolé » constate qu’il n’est pas assez aidé, soutenu, entouré… Il se sent vulnérable, il a l’impression de porter trop de choses seul, de ne pas être suivi par ses équipes, de ne pas être compris des administrations…Le dirigeant isolé n’est pas un dirigeant solitaire, c’est un dirigeant qui, au contraire, aspire à être moins seul, ou tout du moins compris, dans l’exercice de sa fonction”.

 

  → D’où vient ce sentiment d’isolement ?  2 causes principales (notation sur 5) :

la complexité du monde (concurrence, conjoncture, réglementation)avec une note de 2,28 et l’exercice du pouvoir et des responsabilités (2,16).

5 autres facteurs montrent la difficulté de créer un collectif : le manque de reconnaissance sociale et les préjugés à l’égard des dirigeants (1,71), les difficultés à recruter (1,67) et trouver des compétences clés au sein de l’entreprise (1,52),  le manque de soutien et relais au sein de l’entreprise (1,63), la gestion de relation difficile avec les salariés (1,52). Le stress lié à la trésorerie (1,60), tout comme le fait de devoir dissimuler ses émotions (1,53) et la difficulté de concilier vie professionnelle et vie privée (1,56) sont moins présents.  

 

Parmi les principaux facteurs négatifs, citons, avec un impact très fort, les résultats déficitaires de l’entreprise, l’absence de bras droit, le temps de travail supérieur à 70 heures par semaine; par contre l’impact est plus faible s’il est seul dirigeant ou seul actionnaire, en difficulté de recrutement; ont un impact plus modéré le fait d’être célibataire ou divorcé, d’une famille peu présente dans l’entreprise ou l’absence d’un comité de direction.  

 

A l’opposé, les facteurs positifs sont d’abord les résultats fortement bénéficiaires, la mise en place d’un comité de direction satisfaisant et le partage de la direction; le sont moins, mais ont un impact assez fort le recours régulier au conseil en organisation et stratégie, la participation à des formations, la mise en place d’un conseil d’administration avec des administrateurs indépendants; citons encore mais avec un impact plus modeste, la  participation à un réseau d’entrepreneurs, l’ouverture du capital, la croissance du CA, le style de leadership charismatique.

 

Des facteurs accroissent le sentiment d’être bien entouré (partage de la décision, mise en place d’un comité de direction ou d’un conseil d’administration, ouverture du capital…), ainsi que des performances de l’entreprise (croissance du CA, résultats positifs, etc.).  

 

Certaines variables n’ont pas d’impact (l’âge, le sexe, le secteur d’activité, le degré de créativité de l’activité, le mode d’accession à la direction, l’exercice d’une activité syndicale ou politique); certains styles de direction semblent avoir un rôle réducteur de solitude (charismatique, participatif, axé performance); plus que le style à proprement parler, c’est la force d’affirmation du style qui réduit le sentiment d’isolement.  

 

Les facteurs négatifs sont ceux qui accentuent le sentiment d’isolement des dirigeants, alors que les facteurs positifs sont ceux qui accroissent le sentiment d’être bien entouré; les résultats de l’entreprise ont eux aussi un impact très fort.  

 

7 formes de solitude du dirigeant :

1 La solitude dans la décision : il est seul au moment de transiger, et seul ensuite à faire face à ses responsabilités en cas d’échec; elle est d’autant plus pesante qu’elle engage l’avenir de l’entreprise et au-delà, pour le dirigeant propriétaire, son patrimoine et le bien-être de sa famille.

2 La solitude statutaire :  le dirigeant, incarnation symbolique du pouvoir dans l’entreprise doit maîtriser ses émotions, masquer ses doutes;  son comportement doit être exemplaire: sa capacité à mobiliser autour de lui en dépend. Plus l’entreprise grandit, cette dimension s’affirme et plus grande est la distance qui s’installe entre le dirigeant et ses collaborateurs; nombre d’entrepreneurs s’accommodent plus ou moins bien de cette situation, selon le plaisir qu’ils éprouvent à exercer et incarner le pouvoir dans l’entreprise.

3 La solitude relationnelle : le sentiment d’une asymétrie entre ce que le dirigeant investit dans une relation et ce qu’il reçoit en retour; cette forme de solitude renvoie à 2 grandes problématiques : bien s’entourer et mobiliser.  

42% ont souvent été confrontés à des difficultés de recrutement (de 41 à 47% selon les tailles),  44% quelques fois (de 43 à 51% selon les tailles), et 14% jamais (17 pour les petites entreprises, 7 pour les moyennes et 2 pour les ETI).

4. La solitude professionnelle : un dirigeant n’est pas toujours au fait des meilleures pratiques

de gestion du marché, en raison d’un déficit de connaissances, d’expertise et de qualifications. 5. La solitude dans les épreuves :  quand les difficultés arrivent, la liberté se change en détresse, l’indépendance en solitude.

6. La solitude existentielle : sous l’effet de la fatigue, de l’usure, de la déception…ils en viennent à se demander si tous les efforts, tous les sacrifices ne sont pas vains. Le burn-out est la forme la plus dramatique de la solitude du dirigeant; à partir des données de cette enquête, 15% sont en risque de burn-out.

7. Solitude collective ou le manque de reconnaissance sociale : ne pas exister socialement (alors qu’ils représentent 55% du PIB et 2 emplois sur 3, leur absence de la scène publique contrairement aux patrons du CAC 40 ou des dirigeants de start-up), le fait de ne pas être compris ni entendus par la puissance publique, celui d’être l’objet d’une défiance injustifiée de la part des syndicats de salariés et des salariés eux-mêmes.  

 

 La solitude croisée avec 6 caractéristiques

 

-la taille de l’entreprise joue modérément (si 46% des dirigeants de petites entreprises se disent isolés, ils sont 43 pour les moyennes et 43 pour les ETI), les dirigeants des petites se sentant cependant moins entourés (23 contre 31% pour les autres).

 

-Meilleure est la performance de l’entreprise, moins forte est la perception de la solitude : aux très bonnes performances (le fait de 36%) sont associés 33% d’isolés (dont très 6%); à des performances correctes (20%), 40% d’isolés (dont très 10%); à des performances moyennes (22%) sont associés 52% d’isolés (très 13%), à de mauvaises performances (22%) sont associés 54% d’isolés (très 15%).  

 

La concentration du capital et du pouvoir de décision renforce le sentiment d’isolement : 42% des dirigeants sont à la fois propriétaires et seuls dirigeants de leur entreprise; ce sont des fondateurs à 4%, des repreneurs à 27% et des successeurs familiaux à 23% dans les plus petites entreprises (taille médiane de 22 salariés) ; 53% se disent isolés (dont très 15).

Il en est de même pour les dirigeants gérants (9% des répondants), 50% se disant isolés (très 10), quoique sous l’autorité d’un tiers; la taille médiane de l’entreprise est la plus importante (45 salariés en médiane). Alors que seulement 32% des associés dirigeants minoritaires au capital (12% des répondants) se sentent isolés (très 5); ce sont des fondateurs associés (33%), des successeurs familiaux (30%), des repreneurs associés (19%) et des dirigeants extérieurs (18%).

Leurs sont proches, les dirigeants majoritaires au capital, mais partageant la direction de l’entreprise (26% des répondants), 38% se sentant isolés (très 7). En situation intermédiaire, les dirigeants minoritaires au capital mais dirigeant seuls (11% des répondants) avec 44% d’isolés (très 10).

 

-La gouvernance : la création d’instances de gouvernance permet de réduire significativement le sentiment d’isolement du dirigeant; sans instances de gouvernance, la proportion des dirigeants isolés est de 48% (très 13); avec comité de direction satisfaisant, conseil d’administration (dont administrateurs indépendants), le sentiment de solitude tombe à 25% (très 2) :

39% ont un comité de direction (de 27 dans les petites entreprises, à 74 dans les moyennes puis 87 dans les ETI), avec en moyenne 5 personnes au sein de ce comité; 38% sont pleinement satisfaits de ce comité et 56% nuancés.

22% ont un conseil d’administration (17 dans les petites entreprises, 36 dans les moyennes et 62 dans les ETI); parmi ces entreprises, 19% ont des administrateurs externes.  

 

-Les femmes sont plus écartelées entre vie privée et vie professionnelle : elles sont plus souvent seules dans leur vie privée (27% contre 15 pour les hommes); 9% n’ont pas d’enfants. Alors que les dirigeants hommes sont majoritairement de profil repreneur ou fondateur (65%), les femmes se recrutent principalement chez les successeurs familiaux (36%) et les dirigeants-managers. Si elles sont plus nombreuses que les hommes à adopter un style charismatique et communicant, elles sont moins nombreuses à se déclarer « pragmatiques » et même « participatives, démocratiques et délégatives ».

Les dirigeantes sont plus sensibles que les hommes à 4 facteurs d’isolement (le poids des responsabilités et l’exercice du pouvoir, le fait de devoir dissimuler leurs émotions, la gestion des relations difficiles avec les salariés, le compromis vie personnelle-vie professionnelle). Pour rompre leur isolement, elles font plus appel à des conseillers externes (48% contre 35 pour les hommes), à se former et assister à des présentations d’études (27% vs 17) et à recourir au coaching (14 % vs 8).  

 

-L’âge n’est pas une variable déterminante: les plus jeunes ne sentent pas moins isolés que leurs aînés (49% des moins de 40 ans se sentent isolés vs 46 chez les 40-59 ans et 42 chez les plus de 60 ans) ; les moins de 40 ans et les 40-50 ans sont ceux qui ont la durée de travail hebdomadaire la plus longue en moyenne, mais c’est aussi chez les moins de 40 ans qu’il y a la plus grande part de satisfaits (74% des moins de 40 ans vs 65% pour les autres classes d’âge), Les moins de 40 ans sont plus sensibles à l’arbitrage vie privée-vie professionnelle, à la nécessité de masquer ses émotions et ses doutes, au manque de reconnaissance; pour vaincre leur isolement, ils ont plus recours au coaching personnel (12% des moins de 40 ans, 11% des 40-50 ans vs 4% chez les plus de 60 ans). Noter une plus faible participation aux activités syndicales (17% contre 34 pour les plus de 60 ans).  

 

→ Les actions mises en œuvre pour vaincre la solitude : plus une participation à des réseaux d’entrepreneurs, l’appel à des conseils, la visite de salons qu’à des actions syndicales, associatives ou à des formations :

Rompre l’isolement, c’est avant tout un comportement : accepter de partager le pouvoir (partager la décision et le capital), créer un collectif responsable, trouver une voie personnelle et collaborative afin d’exercer son leadership et donc prendre de la hauteur par rapport à l’entreprise et développer une vision et un projet de croissance pour l’entreprise.