La cession-transmission des TPE, une opportunité pour l’économie ?


"LA CESSION- TRANSMISSION DES PME ET DES TPE", Les carnets de BPCE l'Observatoire , mai 2017

En 2014, selon l’INSEE, parmi les 3,8 millions d’entités privées marchandes de moins de 10 salariés, hors secteurs agricole et financier, 2,9 millions sont unipersonnelles (dont 1,1 million autoentrepreneurs) et 900 000 comptent au moins un salarié. Parmi ces 2,7 millions non autoentrepreneurs, 1,7 million sont des sociétés (63% des non autoentrepreneurs); ce sont ces sociétés “dites commerciales”, qui seront l’objet de cette étude, ne pouvant embraser la totalité du champ estimé par l’Observatoire BPCE à 75% des TPE.

Plusieurs bases de données (Infolégale, Sirène…) ont été exploitées; comme pour les PME et les ETI, les annonces légales de cession (cessions de fonds de commerce, fusions, transferts universels de propriétés…) et de changement d’actionnaire principal constituent un premier niveau de cession recensant 38 146 TPE.

Un second niveau, constitué des entreprises pour lesquelles un mouvement de dirigeant intrafamilial a été observé et permettant d’envisager une forte probabilité de cession, recense 7 615 sociétés transmises au sein de la famille à titre gratuit.  

En ce qui concerne le chiffrement de l’emploi des TPE, le texte de l’étude ne précise pas comment le calcul du nombre de personnes occupées a été fait : à priori prise en compte des dirigeants? quid des associés et des conjoints participant à la vie de l’entreprise au quotidien?    

 

Au total, 45 761 sociétés commerciales de moins de 10 salariés ont ainsi été cédées ou transmises en 2014 (2,7% du parc de TPE analysé), à comparer à 38 371 disparitions judiciaires et 62 902 disparitions non judiciaires, soit au total 147 034 disparitions ou cessions (8,6% du parc des TPE en société). Noter au passage que les TPE ont un taux de disparition judiciaire bien plus faible que les PME/ETI (38% vs 63 au sein des disparitions) et un taux de cessation volontaire bien plus élevé.

Noter aussi  que la moitié des morts naturelles concerne des entreprises créées il y a moins de deux ans.  

 

Les cessations ont un taux proche quelque soit la taille; par contre, au sein des cessions-transmissions, les moins de 3 salariés sont moins cédées (18,7 pour 1 000 entreprises sans salarié, contre 31,2 pour les 1 et 2 salariés, 39,5 pour les 3-5 salariés et 41,8 pour les 6-9 salariés); le taux moyen cession des TPE est de 26,4 pour 1 000 entreprises contre 72,6  pour les PME/ETI.

 

Les disparitions des TPE sont deux fois plus fréquentes que celles des PME, tandis que les cessions sont moitié moindres.

En ce qui concerne les emplois concernés, les cessations de TPE en 2014 ont vu la suppression de 185 874 personnes occupées (mais sans que l’étude puisse nous dire ce que sont devenues ces personnes, certaines ayant à nouveau créé ou repris une entreprise dans la foulée notamment pour les dirigeants vendant et rachetant un fonds de commerce, au sens boutique sur rue) et de 115 471 en ce qui concerne les cessions. Les emplois disparus du fait de cessations ne représentent que 5,2% des emplois totaux au sein des TPE et 3,2% pour les cessions (ne manifestant pas un enjeu essentiel de l’emploi au sein des TPE, contrairement à ce qui est souvent affirmé).

 

Les emplois perdus le sont dans les plus petites entreprises (52% dans les 2 salariés au plus), alors que les emplois sauvegardés le sont dans les 3 salariés et plus (68% de ce groupe d’emplois).

Davantage encore que pour les PME et les ETI, l’hypothèse selon laquelle les cessions s’opèrent en majorité à l’approche de l’âge de la retraite est invalidée par les faits:  71% des cessions de TPE interviennent avant 55 ans (la distinction fonds de commerce, principale source des cessions aurait eu avantage à être repéré, même si celui-ci ne peut qu’être approximatif) ; passé 65 ans, les dirigeants ont même moins tendance à transmettre leur entreprise que leurs plus jeunes homologues. Toutefois, avant 55 ans, les TPE présentent un taux de cession stable (2,7%), alors qu’à partir de 55 ans, les taux de cession augmentent pour atteindre 3,7% entre 60 et 65 ans, mais chutent ensuite (3,1% à partir de 66 ans, puis 2,9% au-delà de 70 ans).

 

Le taux de disparition suit le même schéma.   2 profils de cédants différents :

-Les sexagénaires :  leurs motivations est la retraite et l’usure du métier, mais ce sont aux 2/3 des créateurs attachés à leur entreprise, recherchant d’abord des repreneurs qui maintiendront le savoir-faire et la pérennité de l’entreprise (ce qui légitime si besoin une baisse du prix de transaction)

-Les quadragénaires : ils sont davantage attachés à l’esprit d’entreprise dans le choix du repreneur, mais sont aussi exigeant sur le prix et la fiscalité de la transaction, qui leur permettrait notamment le lancement d’une nouvelle activité; ils comptent aussi sur le prix pour constituer un capital pour leur future retraite; 62% sont prêts à céder par opportunité.

 

Les disparités sectorielles montrent que les différentes activités n’ont pas la même sensibilité à l’âge, qu’il s’agisse du taux de cession lui-même ou bien du partage, choisi ou subi, entre cession et mort naturelle. 

Le croisement des taux de cession et de disparition par secteur d’activité fait apparaître 4 groupes :

 

-Le groupe des vertueux pour lequel le nombre d’opérations de cession est élevé et les disparitions peu fréquentes; on y trouve les commerces de bouche, les autres services, dont essentiellement la coiffure et les activités immobilières avec un taux de cession très stable selon l’âge, un arbitrage entre mort naturelle et cession assez équilibré, qui devient favorable à la cession dès 1 ou 2 salariés. Ce sont le plus souvent des fonds de commerce, dont la vocation s’inscrit dans un jeu de revente/rachat.

 

 -Celui d’un fort renouvellement regroupant les secteurs dont les taux de cession et de disparition sont élevés du fait de morts judiciaires plus importantes avec le commerce de détail et surtout les HCR, qui a vu 7% de ses sociétés être cédées et autant disparaître en 2014; l’âge a peu d’effet sur le taux de cession, et la mort naturelle n’est pas plus fréquente que la cession (à partir de 1-2 salariés); ce sont là encore des fonds de commerce, mais avec un turn over plus important  

 

Celui d’un faible renouvellement, tant par la cession que par la disparition; on y trouve l’industrie, le commerce de gros, l’enseignement, la santé-action et les services aux entreprises. Ces secteurs ont tous une plus forte probabilité de connaître une mort naturelle qu’une cession (celle-ci ne devenant majoritaire que pour les TPE de plus de 3 salariés). Pour l’industrie et le commerce de gros, la cession est plus fréquente en fin d’activité professionnelle qu’en début de vie, tandis que pour les autres activités, la mort naturelle est deux fois plus fréquente à tous les âges, que la cession.  

 

-Celui de taux de disparition élevé et peu de cessions; on y trouve la construction, le transport et l’information/communication. La mort naturelle y est deux à trois fois plus fréquente que la cession; celle-ci ne devient majoritaire le plus souvent qu’au-delà de 5 salariés. Dans ces secteurs, la création se substitue souvent à la reprise, le capital financier et humain à investir pour démarrer son activité étant souvent moins important que dans l’industrie ou le commerce.  

 

Si  l’aspiration à céder est puissante et majoritaire au-delà de 60 ans pour les dirigeants de TPE, l’écart entre la volonté de passer la main et le nombre réel de reprises est en moyenne de 1 à 3,4,  Interrogés sur leur choix final si une proposition de reprise de leur entreprise leur était faite, 59% des patrons de TPE répondent qu’ils envisageraient de vendre et 27% disent vouloir céder à moins de deux ans. En faisant une projection a minima du noyau dur des dirigeants souhaitant céder leur entreprise (9% des TPE), il se chiffreraient à 155 000 entreprises, à comparer aux quelque 46 000 cessions en 2014. Il existe donc un décalage considérable, un rapport de 1 à 3,4 entre les aspirations les plus déterminées à céder et le nombre d’opérations effectivement identifiées sur une année; ce décalage est de 4,2 entre 60 et 64 ans et 5,9 au-delà de 65 ans.  

 

Si 58% des moins de 40 ans souhaitent céder au-delà de dix ans, voire le plus tard possible, 57% des 60 ans et plus privilégient un délai inférieur à deux ans. à partir de 55 ans, la préparation de la transmission est citée par les dirigeants comme leur principal objectif personnel et le départ à la retraite apparaît, dès la tranche d’âge de 50 à 59 ans. Contrairement aux catégories les plus jeunes (69 % des moins de 40 ans et 45% des 40-49 ans), moins d’un quart des 60-64 ans et surtout moins de 17% des 65 ans et plus appartenant au noyau dur des cédants parviendraient à négocier la vente de leur activité. Ainsi au-delà d’un certain âge, la cession devient très aléatoire.

Les 60-64 ans sont sceptiques à propos de la cession : 58% seraient prêts à vendre, 53% l’anticipent « difficile », 50% disent ne pas compter sur leur patrimoine professionnel pour assurer leur retraite et 42% pensent que la valeur trop faible de leur entreprise est un frein à sa vente; 22% disent vouloir continuer « le plus tard possible » ou ne pas savoir quand ils s’arrêteront), soit par simple refus de passer la main, soit par anticipation de l’impossibilité de trouver un repreneur.  

 

La préparation est insuffisante : chez les 50-59 ans, 23% ont déjà pris des dispositions pour transmettre (dont 5% ont déjà tout organisé); ce sont respectivement 54%, dont 17% chez les 60-64 ans et 50% dont 17% chez les 65 ans et plus.  

 

3 catégories d’obstacles sont fréquemment citées : le manque de temps (45%), le prix des conseils (42%), la difficulté à faire face à la complexité de l’opération et à sa réglementation (37%), la valeur trop faible de l’entreprise (40% au sens rentabilité de l’activité, perspectives globales, intensité de la concurrence, contraintes liées au maintien de l’emploi, substitution de la création à la reprise), la difficulté à identifier les bons interlocuteurs (36%), le souhait de poursuivre l’activité pour des questions de revenus (28%), moins les craintes en matière de confidentialité (20%) ou le perspective de cesser l’activité (18%).  

 

Malgré les incertitudes économiques, réglementaires et personnelles qui accompagnent la cession, les dirigeants de TPE de plus de 60 ans, comme ceux de PME, ont pour critère prioritaire, lors de la cession, la qualité du repreneur d’abord (54%), la pérennité de l’activité (41%), le prix le plus élevé possible ne venant qu’en troisième position (30%) devant la préservation de l’emploi (23%) et l’optimisation fiscale (6%). De fait, la perpétuation du savoir-faire et de la réputation de l’entreprise est jugée « essentielle » par plus de 40%. Cette attente forte d’un repreneur idéal vient s’ajouter aux freins économiques, pratiques et personnels, d’où une difficulté accrue pour aboutir. Les moins de 55 ans envisagent plus souvent de vendre à des concurrents (66 vs 45% pour les plus de 55 ans), à des personnes physiques hors du métier (57 vs 40%), à des personnes morales (53 vs 37%), à un fonds d’investissement (27 vs 18%).  

 

2 groupes sont identifiés :

 

Celui où l’existence d’un marché est vérifié conduisant les dirigeants à l’optimisme (commerces de bouche, HCR, commerces, coiffure et pressing): ils comptent davantage sur celui-ci dans la préparation de leur retraite, associent plus fréquemment la valeur de leur entreprise à des actifs réels (foncier, équipement…) et citent plus souvent « le prix le plus élevé possible » parmi les critères prioritaires lors de la cession.

-Celui où les dirigeants sont plus sceptiques pour la cession : services aux entreprises, professions libérales, mais aussi le bâtiment et l’industrie où l’on trouve des créateurs arrivés en fin de vie professionnelle. Comme pour les PME et ETI, la taille reste le principal déterminant du niveau de la cession des TPE : plus une TPE emploie de salariés et plus la probabilité qu’elle soit reprise est élevée, quel que soit l’âge du dirigeant.  

 

Qu’en est-il de la transmission familiale? 7 615 ont fait l’objet d’une transmission familiale à titre gratuit (16,6% des cessions).

Contrairement aux cessions onéreuses, les reprises au sein de la famille sont très corrélées à l’âge du dirigeant : 14,7% des cessions avant 60 ans, 30% au-delà de 60 ans; contrairement à ce qui était observé pour les PME, la sensibilité à la transmission familiale augmente avec l’âge. La présence des enfants ou des petits-enfants à des fonctions opérationnelles conduit souvent à souhaiter leur transmettre l’entreprise (55% contre 16% en moyenne); il s’agit plus d’un effet d’opportunité que d’un modèle préétabli (logique dynastique). Contrairement aux PME, exprimant un modèle intergénérationnel, pour les TPE c’est plutôt une modalité supplémentaire à laquelle les cédants recourent lorsque les conditions d’âge et d’appétence de l’héritier d’une part, et de rentabilité de l’entreprise d’autre part, sont réunies.

 

Les intentions de transmission familiale sont plus développées dans le bâtiment, l’industrie, voire l’artisanat alimentaire, mais moins présentes dans les services ou les HCR: 35% des TPE du secteur du bâtiment cédées ont pour repreneur un membre de la famille, entre 22% et 28% des TPE de l’industrie, du commerce de gros et des transports, mais seulement 15% seulement des TPE du commerce de détail, 10% de celles du commerce de bouche et 7,5% des HCR.  

 

La carte des taux de cession-transmission des TPE en 2014 fait apparaître de fortes disparités entre les différents territoires. Il est relativement courant de céder ou transmettre les TPE dans les régions ouest et sud (Basse-Normandie, Bretagne, Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes), moins en revanche, dans le quart Nord et Est de la France (régions Grand-Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Haute-Normandie et le nord de la région Centre). Contrairement à ce que l’on observe pour les PME et les ETI, les départements dotés d’une grande métropole présentent des taux de cession de TPE inférieurs à la moyenne, alors que les taux de création de TPE avec salarié(s) sont parmi les plus élevés.

Là où les TPE font rarement l’objet d’une cession onéreuse, le passage de relais au sein de la famille est fréquent (Grand-Est, Nord-Pas-de-Calais, Bourgogne, Île-de-France et Corse).  

Enfin, les dirigeants de TPE sont en moyenne plus jeunes que ceux des PME et ETI, avec une part des dirigeants de plus de 60 ans d’environ 14% pour les TPE contre 21 % pour les PME et ETI, Ce vieillissement des dirigeants lié au manque de cessions risque de conduire demain à une situation des TPE proche de celle actuelle des PME.