Le modèle des industriels indépendants est influencé par une approche « partenariale » de sa gouvernance plutôt qu’« actionnariale ».


"Les PME / ETI industrielles indépendantes : une réussite économique et sociale durable au cœur des territoires", Asteres, mars 2021

Méthodologie : l’étude ne porte pas sur les grandes entreprises et limite son analyse aux très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de tailles intermédiaires (ETI). Celles-ci ne sont pas détenues à plus de 50% par une autre entreprise.

Les branches de l’industrie retenues sont principalement l’agro-alimentaire, le textile et les cosmétiques. Pour le négoce, il s’agit des intermédiaires du commerce et du commerce de gros, proches du consommateur (secteurs de l’alimentaire de l’habillement, de biens domestiques.

La base de données Diane permet d’identifier 9 505 sociétés correspondant à la recherche en utilisant les données des tribunaux de commerce (55% sont des entreprises familiales). 437 sociétés coopératives et filiales de groupes ont été exclues., mais ont été ajoutées via l’Insee les entreprises individuelles concernées (13 323 entreprises).

ASTERES, cabinet indépendant a conduit cette étude pour la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF).

 

Si cette approche est fort intéressante pour situer ce type d’entreprise au regard des entreprises avec actionnaires diversifiés, les comparaisons proposées ne sont pas toujours faciles faute de données strictement comparables.

 

Ces industriels sont “encastrés” sur leur territoire, voire « dépendants », de ce territoire. Leurs approvisionnements sont plus orientés vers des fournisseurs français.

⇒ Quelques données sur ces entreprises :

Les 22 284 entreprises  se répartissent entre 11 290 entreprises industrielles et 10 994 entreprises de négoce.

 

Ces entreprises totalisent 171 000 salariés (136 000 dans les entreprises industrielles et 35 000 dans le négoce), auxquelles il faut ajouter 20 000 chefs d’entreprise.

 

Le chiffre d’affaires par salarié est très différent (749 000€ dans le négoce et 254 000€ dans l’industrie). Une différence aussi pour le ratio valeur ajoutée/nombre de salariés (63 000€ dans l’industrie contre 88 000€ dans le négoce).

 

Elles exportent dans des proportions similaires à la moyenne des entreprises industrielles françaises ; en 2018, elles réalisent 3,6% des exportations industrielles françaises alors qu’elles sont 2,9% du nombre de sociétés industrielles. Leur taux d’ouverture (exportations / chiffre d’affaires total) de 20%, est similaire à celui d’entreprises non-indépendantes appartenant à d’autres secteurs.

 La présence des entreprises indépendantes à l’étranger se matérialise par la détention de sites dans d’autres pays (en moyenne 0,4 site de production soit 5 329 sites).

 

L’activité de recherche-développement est globalement moins intense que dans la moyenne des entreprises françaises : elles y consacrent 2,3% de leur chiffre d’affaires, contre 2,5% pour les PME françaises. 14% déposent des brevets (en moyenne 1,3 brevet par an, contre 1,4 pour les entreprises françaises du même type). De fait, l’appartenance à un groupe est bénéfique à la recherche, du fait d’un soutien financier, d’effets d’apprentissage ou d’économie d’échelle.

⇒ Une différence de modèle avec les entreprises où l’actionnariat domine.

♦ Le modèle

 

-Le modèle des industriels indépendants est influencé par une approche « partenariale » de sa gouvernance plutôt qu’« actionnariale »; la gouvernance est au service de ses parties prenantes (salariés, fournisseurs, créanciers) en plus des actionnaires, qui la dégage des objectifs de rentabilité de court terme.

 

-Le modèle des industriels indépendants présente une logique de « coopétition » plus que de compétition. Ces entreprises tissent des partenariats de longterme avec leurs fournisseurs, en particulier lorsqu’elles sont implantées dans un territoire et que leurs produits en dépendent.

 

-Les industriels indépendants incarnent le concept théorique d’« encastrement » dans la société : le secteur repose à la fois sur les relations humaines et sur les représentations communes pour fonctionner. Le modèle de l’entreprise indépendante associe la création de richesse, la production de lien social et le respect d’engagements sociétaux. En premier lieu, le  bon fonctionnement de l’entreprise bénéficie des liens tissés entre les salariés et avec les fournisseurs, clients, partenaires, et les renforce en retour. En second lieu, l’existence de valeurs communes et d’une action sociétale de l’entreprise favorise la coopération à l’intérieur de l’entreprise et avec ses parties prenantes. En retour, les actions concrètes de l’entreprise  renforcent ces représentations communes.

 

♦ Comment se traduit ce modèle ?

 

-La vision de long-terme de ces entreprises permet de mieux résister aux chocs et la croissance.

 

-Ces industriels sont implantés dans un territoire, voire « dépendant », de ce territoire. Ils possèdent en moyenne 1,8 site de production en France, soit 32 900 sites de production répartis sur l’ensemble du territoire. Leurs produits, les savoir-faire, les compétences sont issus des territoires (elles sont donc moins incitées à délocaliser).

 

-Les effets d’entraînement des industriels indépendants des biens de consommation courante sur l’ensemble de l’économie sont particulièrement forts. Leurs approvisionnements sont plus orientés vers des fournisseurs français (1M€ de dépenses courantes des industriels indépendants entraînent la création de 13 emplois au bout de 4 ans, contre 8 emplois pour la moyenne des entreprises françaises).

Avec leurs fournisseurs, ils entretiennent des relations moyennes de 5,1 années ; 68% ont inclus les questions environnementales dans leur cahier des charges.

 

Les préoccupations des industriels indépendants en termes de formation sont influencées par leur proximité avec les territoires. Ils consacrent en moyenne 480€ par salariés et par an à la formation, ce qui les rapproche des entreprises qualifiées de
« très formatrices » par la Dares (533€ par salariés). La proportion d’apprentis y est de 4%, contre 1,8% en moyenne dans les entreprises françaises.
Ce type d’investissement dans la formation peut s’expliquer par un choix stratégique ou éthique de miser sur le capital humain ou encore par le caractère limité du bassin d’emploi.

 

Mais l’attachement à leurs collaborateurs pourrait se révéler handicapant, ces entreprises confiant fréquemment leur direction ou des postes clés à aux collaborateurs ou fondateurs historiques. au détriment de compétences extérieures.

 

– les industriels indépendants accordent une place importante aux femmes : en 2020, 54% des salariés étaient des femmes, alors que les hommes sont majoritaires dans les autres entreprises.

 

-Ils développent des liens avec des associations (64% avaient noué des partenariats avec une association, contre 31% pour la moyenne des entreprises) et des structures de réinsertion (36% ont noué des liens avec une structure de réinsertion de personnes en difficultés vs 25%).

 

-En 2020, 81% ont fait don d’une partie de leurs marchandises et 39% des dons sous forme monétaire. Les dons sous forme de marchandises se chiffrent en moyenne à 112 000€ par an, contre 40 000€ pour les dons monétaires.

 

–66% des industriels indépendants se sont dotés d’un plan de réduction de la consommation de matières premières et d’eau (contre 46% des entreprises françaises).

⇒ une croissance supérieure au reste du marché

♦ Entre 2009 et 2018, ces entreprises ont connu une progression de leur chiffre d’affaires de 37% (vs 27% pour l’ensemble des entreprises industrielles des mêmes secteurs).
La productivité a augmenté de 7% (contre 1% pour les non-indépendants des mêmes marchés).

 

La croissance soutenue devrait se poursuivre grâce au dynamisme du marché « responsable », enregistrant une hausse du chiffre d’affaires annuel moyen de 24% ces dernières années, vs 5% pour les entreprises autres. Les prévisions pour ce segment au cours des prochaines années tablent sur une hausse annuelle de 24%, soit un rythme de similaire aux années passées. A titre d’exemple, dans le secteur de l’hygiène et de l’entretien, la demande de produits « verts » a augmenté de 17% par an contre 2% pour les produits classiques ; les ventes de produits biologiques alimentaires ont augmenté de 13,5% en 2019.

En 2018, les industriels indépendants ont créé 3 400 emplois (2,2% des emplois salariés créés en France cette année-là, alors qu’ils ne représentent que 0,5% des entreprises françaises) ; l’emploi y a progressé de 15% (vs 4). Le nombre élevé d’emplois peut s’expliquer par une préférence donnée au facteur travail sur le facteur capital (dans les ETI indépendantes, le montant de capital par salarié est de 140 000€, contre 233 000€ pour les ETI filiales de groupes étrangers).

Les salaires moyens dans les entreprises industrielles indépendantes croissaient de 14% (contre 7% pour les non-indépendants des mêmes marchés).

⇒ Mais les performances financières sont moins marquées que celles des groupes et des filiales.

♦  La rentabilité économique (résultat / actif total) est de 3% dans l’industrie et de 4% dans le négoce, contre 4 et 5 pour la moyenne des entreprises non-indépendantes appartenant à des secteurs similaires.

La productivité des industriels indépendants est de 63 000€ par salarié, contre 91 000€ dans l’industrie française, un écart qui existait déjà dans les années 1990 et qui semble être une caractéristique structurelle.

 

Ces moindres performances financières s’expliquent par :

 

-la philosophie du modèle des entreprises indépendantes, qui les pousse à considérer d’autres objectifs que la seule rentabilité privilégiant la propension à partager la valeur ajoutée avec les salariés : la marge nette (résultat / chiffre d’affaires) est restée stable à 2% pour le négoce et 3% pour l’industrie au cours des dernières années alors que le chiffre d’affaires était dynamique. Dans le même temps, la marge nette de la moyenne des entreprises industrielles françaises est de 7%. De plus, la stabilité de la marge en phase de croissance s’est accompagnée d’une hausse des salaires et des effectifs.

 

-La relative petite taille alors que la performance financière est corrélée avec la taille de l’entreprise (économies d’échelles, capacité de négociation ou encore effets d’apprentissage).

 

L’appartenance à un groupe favoriserait les performances financières des filiales, notamment dans les négociations commerciales et financières (le besoin en fonds de roulement est de 64 jours de chiffre d’affaires contre 58 pour les autres). Par ailleurs, lorsqu’une entreprise indépendante est rachetée par un groupe, sa croissance et sa productivité s’améliorent dans les années qui suivent, puisque les groupes rachètent le plus souvent les entreprises les plus performantes.

⇒ une bonne résilience en période de crise

Cette résistance aux crises s’est notamment observée lors de la crise de 2008-2009. Les entreprises indépendantes avaient alors connu une baisse de chiffre d’affaires de 7%, contre 12% pour les filiales de groupes.
Le fait de privilégier la construction de relations durables avec les salariés peut expliquer cette bonne résistance aux crises, à la différence des filiales, contraintes de servir des dividendes même dans les périodes difficiles.

 

Les industriels indépendants ont aussi mieux absorbé le choc de la crise du coronavirus que le reste de l’économie : en avril 2020, le chiffre d’affaires des industriels indépendants avait baissé de -11,6%, alors que l’activité économique se contractait en France de -33%. Sur l’ensemble de l’année, la contraction de chiffre d’affaires des industriels indépendants varie selon les sources de -1% à -8%. 

⇒ des effets d’entraînement sur le reste de l’économie supérieurs à l’activité d’entreprises comparables 

♦ Un effet conséquent sur l’investissement et l’emploi

 

-Ces entreprises ont réalisé en 2018 des investissements pour 880M€, ont versé 3,6Md€ de salaires et dépensé pour 11,8Md€ de dépenses courantes.

 

-1M€ de dépenses courantes réalisées par des industriels indépendants génèrent, par le biais des effets d’entraînement, 13 emplois au bout de 4 ans (vs 8 emplois pour les autres). Cette différence s’explique par le fait que les dépenses courantes, fortement orientées vers l’agriculture, se font plus à destination de fournisseurs français que la moyenne des dépenses courantes des entreprises françaises (L’industrie alimentaire s’approvisionne à plus de 60% vers l’agriculture où les importations représentent 20% des consommations intermédiaires).

Les effets d’entraînement de l’industrie créent au total 149 000 emplois sur quatre ans, contre 40 000 pour le négoce, soit 189 000 emplois nouveaux.

 

Alors que pour les entreprises industrielles indépendantes, un emploi créé conduit au bout de quatre ans à la création de 1,21 emploi supplémentaire dans l’économie par les effets d’entraînement (1,39 dans l’industrie alimentaire, et seulement 0,58 dans l’industrie de l’hygiène/cosmétique qui s’approvisionne massivement auprès de l’industrie chimique, dans laquelle 67% des consommations intermédiaires sont importées).

 

-La valeur ajoutée créée par les entreprises indépendantes est comparable à celle générée par les autres entreprises ; les industriels et négociants indépendants ont généré 7,4Md€ de valeur ajoutée en 2018 (soit 330 000€ par entreprise), dont 4,1Md€ dans l’industrie (360 000€ par entreprise) et 3,3Md€ dans le négoce (300 000€ par entreprise).

 

Pratiquement les trois quarts des effets d’entraînement de l’activité des entreprises indépendantes s’effectuent sur la première année. Le modèle d’impact d’Asterès analyse les effets d’entraînement sur 4 années de façon à prendre en compte l’ensemble des effets d’entraînement qui, dans la réalité économique, se prolongent au-delà de 12 mois. La première correspond à l’année sur laquelle les dépenses de consommation courantes,  d’investissement et le versement des salaires sont effectués, c’est donc logiquement l’année sur  laquelle la majorité des effets sont concentrés.

Concernant les emplois créés par les effets d’entraînement, 70% le sont la première année, 22% la deuxième, 6% la troisième et 2% la quatrième. La répartition des effets sur les 4 années est globalement similaire concernant la valeur ajoutée, l’investissement et le versement de salaires.

 

♦ En fiscalité, une contribution plus élevée que la moyenne

En 2018, ces entreprises ont payé 470M€ d’impôts, soit en moyenne 1,14 fois plus d’impôts que l’ensemble des entreprises françaises. Leur contribution totale au bout de 4 ans est de 2,1Md€. Par entreprise, les impôts payés s’élèvent à 35 000€ et les cotisations sociales à 170 000€. Les impôts se répartissent à part pratiquement égale entre les impôts alloués à l’État et les impôts locaux. 

 

Pour en savoir davantage : ASTERES-FEEF-Les-PME-ETI-industrielles-independantes-VF.pdf