Les TPE, leur impact dans l’emploi, l’économie et les territoires.


"Très petites entreprises : une force économique pour le développement des territoires", Institut Terram, Olivier Portier, juillet 2024

L’Institut Terram est un groupe de réflexion collégial et multidisciplinaire dédié à l’étude des territoires. Il fait de la dynamique territoriale un pilier central de l’innovation économique, industrielle et numérique, de la préservation de l’environnement et de la décarbonation, de l’accès aux services publics, de la valorisation du patrimoine culturel et de la cohésion sociale.

L’institut est un espace de discussion unique pour tous ceux qui s’intéressent au devenir des territoires. Son expertise repose sur la diversité des acteurs et la synergie de compétences. Il réunit des chercheurs, des experts, des représentants d’entreprises, des fonctionnaires et des acteurs de la société civile.

 

Pour aller plus loin que le texte proposé, il serait opportun de pouvoir mieux identifier ces TPE qui deviennent des PME, voire des TPE créées par des patrons de PME ou de grands groupes pour exercer des fonctions spécifiques au sein de ces entreprises, d’identifier les patrons qui ont créé plusieurs TPE pour ne pas dépasser certains seuils, mais aussi celles qui sont rachetées pour leur développement, et enfin de repérer les multi récidivistes de la création (ce que Sine permet pour partie de faire). Analyser leurs profils et leurs comportements serait d’une grande utilité pour l’action, et permettrait de mieux cibler objectif (développement ou/et insertion dans l’emploi) et cible (maintien en activité ou/et développement).

Une difficulté à prendre en compte dans le fait que nombre de statistiques traitent de la place des TPE en recourant au terme d’établissement (entité appartenant souvent à une entreprise de plus grande taille) et non d’entreprise.

 

Un rare et riche travail sur cette question de l’apport des TPE sur le territoire et dans l’économie.

⇒ Un rappel de leur nombre et de leur évolution.

♦ Le nombre de TPE est passées d’environ 3 millions dans les années 2000 à plus de 4 millions en 2023 et le nombre de création de 250 000 et 300 000 immatriculations annuelles à un million du fait du régime de l’autoentrepreneur, devenu microentrepreneur, mais dont une forte minorité de produira jamais de recettes. Plus intéressant encore est le nombre de sociétés créées : de 90 000 dans les années 2 000 à 290 000 de nos jours (ne pas négliger  l’apparition des sociétés unipersonnelles, dépourvues de salariés, qui fausse quelque peu la comparaison) ; toutefois celles-ci sont habituellement inscrites dans des projets plus souvent robustes (les 2/3 sont encore en activité au bout de 5 ans). 

 

♦ 3 caractéristiques pour ces TPE :
– Surreprésentées dans certains secteurs d’activité (bâtiment, artisanat, commerce, HCR…), elles sont très connectées à l’économie de proximité, et centrées sur la consommation locale,
Leur poids dans l’emploi s’avérant même proportionnellement plus élevé dans les ruralités et les petites agglomérations que dans les métropoles, de même qu’il est plus significatif dans la moitié sud du pays,
– Un tissu de TPE relativement stable, même s’il est constamment renouvelé par le turn over des créations et cessations dont des liquidations, qui joue un rôle de couche protectrice pour les économies locales et contribue à amortir les chocs des crises. Lors de la période Covid, les TPE ont su faire preuve de résilience en mobilisant les dispositifs de soutien public (chômage partiel, prêts garantis, fonds de solidarité…) et les mesures de relance. 

 

♦ A titre de comparaison, en 2023, l’Allemagne disposait d’un PIB de 4 120Md€, supérieur d’1/3 à celui de la France (2 800Md€), avec environ 600 000 entreprises en moins, et le Royaume-Uni, dont le PIB est comparable à celui de la France, compte un parc d’entreprises de 1,3 million d’unités en moins (self-employed exclus proche de nos autoentrepreneurs). Les États-Unis, au PIB sept fois supérieur au PIB français, ne décomptent qu’un tiers d’entreprises en plus. A contrario, avec son économie de petites entreprises familiales, l’Italie décompte davantage d’entreprises que la France, malgré un PIB inférieur. 

 

⇒ Les TPE employeurs.

En se concentrant sur les TPE qui emploient de 1 à 9 salariés, l’étude les distingue des formes les plus « ubérisées » et précaires de l’économie contemporaine et met en exergue la contribution de ces TPE au développement local et au renouvellement des tissus économiques.

 

Ultramajoritaires (82%) au sein du parc des entreprises employeuses, les TPE n’accueillent que 18% des emplois salariés privés. 38% de ces très petites entreprises employeuses ne comptent que 1 salarié ou 2 salariés (20%) ; les entreprises de 3 à 5 salariés constituent 28% du parc total et les  6 à 9 salariés 14,5 %. Si l’on regarde du côté de la distribution des emplois, 36,6% des effectifs sont localisés dans des entités de 3 à 5 salariés et 36,4% dans des entreprises de 6 à 9 salariés (36,4 %), les TPE de 1 à 2 salariés ne contribuant qu’à hauteur de 27% des effectifs. 

(Rappelons l’incertitude sur la comptabilisation du nombre de non-salariés, qui selon les statistiques sont intégrés dans les effectifs et dans d’autres pas).

 

♦ Le poids des TPE dans l’emploi au sein des différentes branches de l’économie est variable : inférieur à 10% des effectifs de l’industrie, du transport, de la logistique, de la finance et de l’assurance, où prédominent de grands acteurs, il est supérieur à 20% des salariés dans le commerce, à près de 30% au sein des activités immobilières, 35% des salariés dans la construction et 39% dans les HCR.

⇒ Le rôle des TPE dans la recomposition des tissus productifs et des chaînes de valeur.

Leur contribution à la création d’emplois (en solde net) est, en proportion, beaucoup plus intense. Leur part dans le flux de la création d’emplois salariés est bien supérieure à leur part dans le stock total des emplois. Cet écart se comprend mieux dès lors que l’on tient compte des changements de périmètre des entreprises qui voient des TPE en croissance franchir des seuils et basculer vers les catégories supérieures (celles des PME, voire des ETI).

 

Rappelons que selon l’Insee les 300 plus grandes entreprises françaises (plus de 5 000 salariés) sont des groupes qui rassemblent 28 000 sociétés. Les 6 600 entreprises de taille intermédiaire (ETI) confédèrent près de 70 000 sociétés. En cumulé, près de 100 000 sociétés relèvent de ces 6 900 entreprises (0,15% des entreprises) et emploient 55% des salariés du secteur privé.

 

Certaines TPE font l’objet de stratégies de rachat par de plus grandes entités. Elles disparaissent des statistiques mais leur énergie entrepreneuriale se perpétue à l’intérieur d’entités plus vastes, alimentant  la régénération constante du tissu productif. À l’opposé des grands groupes qui détruisent davantage d’emplois qu’ils n’en créent ; pour autant, ils concentrent une part croissante des effectifs à travers leurs absorptions d’autres entreprises. 

Dans la décennie qui a suivi la crise financière (2008-2017), les TPE forment, de très loin, la catégorie la plus créatrice d’emplois (plus de 220 000 sur l’ensemble de la période), suivie par celle des entreprises de taille intermédiaire (environ 60 000), alors que les PME connaissent une légère érosion du nombre de salariés, et que les grandes entreprises perdent plus de 240 000 emplois.

Une difficulté réside dans le concept emploi créé : emploi CDD de courte durée (majoritaire au sein des TPE), CDD de plus d’un mois et CDI, et par ailleurs emploi Equivalent Plein Temps ou tout type d’emploi) ; ces précisions ne figurent pas toujours dans les publications.

⇒ Extrêmement hétérogènes, les TPE recouvrent des modèles économiques très contrastés :

– Nombre d’entre elles s’inscrivent dans un projet entrepreneurial autolimité, dont la vitesse de croisière est assez vite atteinte en termes d’effectifs. Leur volume d’activité et leur propension à recruter sont largement tributaires de la propension locale à consommer de leurs habitants (permanents ou occasionnels).

Les TPE sont proportionnellement surreprésentées dans des domaines tels que le commerce, les transports, les HCR, la construction ou les activités culturelles, qui s’inscrivent dans des modèles d’autolimitation, mais sont en revanche deux fois moins importantes en proportion dans l’industrie manufacturière plus capitalistique (la catégorie industrie nécessite d’approcher son contenu quand on constate que c’est le secteur qui connait une des plus fortes hauses en création !).

 

La densité des coopérations et des échanges interentreprises peut exercer un effet multiplicateur sur les volumes d’affaires des TPE. L’essor considérable connu par les franchises au cours des 30 dernières années (environ 2 000 réseaux, représentant plus de 450 000 emplois et 88 Md€ de chiffre d’affaires) maillent aujourd’hui les territoires dans la plupart des secteurs d’activité. 

 

♦ Apports, développement et limites.

– Les TPE présentent des avantages évidents en termes d’agilité, de vitesse d’adaptation et de jeunesse (44% ont moins de 5 ans). Elles sont souvent appréciées pour la proximité et la relation directe qu’elles établissent entre dirigeants et salariés ; les niveaux hiérarchiques et le formalisme bureaucratique y sont faibles.

– En contrepartie, elles sont trop restreintes pour pouvoir s’attacher certaines compétences en interne (agent commercial, comptable, informaticien…), ce qui leur impose une certaine polyvalence, le recours à des prestataires ou à des solutions mutualisées entre pairs. Elles souffrent parfois d’une trésorerie fragile, exposée à des délais de paiement incertains, et d’une insuffisance de fonds propres (une sur cinq a des fonds propres négatifs).

⇒ L’impact sur les territoires.

♦ Selon les tailles d’entreprises : 

– Les dynamiques des créations d’emplois dans les PME et les ETI sont géographiquement contrastées : le grand quart nord-est de la France passe en solde négatif, alors que ces catégories d’entreprises continuent à créer davantage d’emplois qu’elles n’en détruisent sur les façades atlantique et méditerranéenne, dans la région toulousaine, le long de l’axe rhodanien ou en Île-de-France.

 

– Quant aux grandes entreprises, elles deviennent, à périmètre constant (en neutralisant leurs rachats d’entreprises), les grandes destructrices de l’emploi presque partout en France. Plus de 300 000 emplois ont été détruits dans la décennie qui a succédé à la crise financière.

La productivité des grandes entités est liée à leur capacité à absorber par rachat (ou montée au capital) des sociétés en croissance ou à fort potentiel puis à l’élaguer les doublons ou à se séparer des composantes les moins rentables des entités achetées. Par croissance externe, beaucoup de TPE rejoignent des groupes d’entreprises ou disparaissent par absorption. 

Les soldes nets ne sont positifs que dans une quinzaine de zones d’emplois sur plus de 300, notamment le bassin de Toulouse, dynamisé par l’aéronautique, les métropoles de Nantes et Bordeaux, des bassins industriels comme Saint-Nazaire et Cherbourg portés par la construction navale ou encore quelques zones d’emplois franciliennes minoritaires. 

 

♦ Même si les TPE prédominent partout en nombre, elles pèsent différemment dans l’emploi local. Les petits établissements (et donc des structures dont au moins 10% dépendent d’une entreprise souvent de taille plus importante) concentrent 31,5% des emplois des intercommunalités de moins de 20 000 habitants, de profil rural et peu dense. Elle n’est plus que de 16% dans les plus grandes agglomérations (200 000 habitants et plus). 

 

♦ Selon certains secteurs d’activité. 

Parmi les facteurs favorables à l’essor des TPE figure la place croissante prise par les secteurs des services à la personne, (et plus globalement des créations dans les services, alors qu’elles sont en modeste hausse dans les activités traditionnelles telles la construction, le commerce) ; dans ces activités de service, elles sont moins capitalistiques que les activités de production, et marqués par de plus faibles barrières à l’entrée, la concurrence étant circonscrites au sein d’un même bassin de chalandise,  mais étroitement tributaires des pouvoirs d’achat des résidents et de leur propension à consommer.

Ces emplois, non délocalisables, ont le plus prospéré entre 1999 et 2015 : 2,7 millions d’emplois abrités vs 400 000 emplois exposés disparus, notamment dans les activités de production ayant connu une très forte compression sous les effets cumulés des gains de productivité, des délocalisations des approvisionnements, mais aussi des changements des comportements de consommation. 

 

Le redéploiement s’est opéré au profit des consommations de services, des loisirs, de la santé ou encore de la construction, des secteurs largement abrités et dans lesquels interviennent un très grand nombre de TPE.

 

♦ D’un point de vue territorial, cette bascule de l’emploi en faveur des secteurs abrités n’a pas été sans conséquence. Dans de nombreux bassins industriels, petites villes, bourgs et espaces ruraux, les emplois créés par les activités localo-centrées n’ont pas suffi à compenser les pertes d’emplois exposés. Une rétrospective sur quarante ans (1975-2015) réalisée par Olivier Portier a montré que dans les territoires les moins denses (intercommunalités les plus rurales), l’essor des emplois de la sphère présentielle (451 000 emplois) est juste parvenu à compenser les pertes d’emplois exposés, liés à la sphère dite « productive concurrentielle » (451 000 emplois gagnés d’un côté, pour 438 000 perdus de l’autre). alors que la croissance de l’emploi à l’échelle nationale était de 23%, en lien avec la croissance démographique et l’essor de l’emploi féminin.  Seul le tourisme, combiné avec des activités de loisirs (culture, sports, bien-être…), a pu jouer un rôle de relais de croissance dans les destinations au plus fort potentiel.

 

♦ Qu’en est-il des taux élevés de créations d’entreprises pour contribuer à faire baisser les taux de chômage ou à faire augmenter le taux de l’emploi 

Une forte corrélation des 2 dynamiques est constatée dans certains secteurs comme le Var, les Bouches-du-Rhône, la Gironde ou le Doubs, alors que d’autres espaces affichent des taux élevés de créations d’entreprises tout en subissant des évolutions négatives de l’emploi (Cher, Indre-et-Loire, Aisne, Oise…).
De fait dans de nombreux quartiers populaires, notamment en QPV, on constate des volumes conséquents de créations d’entreprises (avec notamment des chauffeurs VTC et des activités de livraison) qui ne durent pas voire n’ont jamais produit de recettes. Cela confirme la nécessité de recentrer le regard non sur l’acte de création mais sur le premier recrutement et les premières cotisations sociales.

⇒ Facteurs d’évolution.

♦ L’accompagnement : Au cours des 2 dernières décennies, celles-ci ont profité d’un maillage très dense et professionnalisé de structures d’accompagnement à la création d’entreprises. À partir d’initiatives personnelles ou d’associations, des réseaux nationaux (tels qu’Initiative France, le mouvement Entreprendre, l’ADIE…) ont vu leurs implantations territoriales se multiplier en un quart de siècle et leur activité changer d’échelle. Ils proposent des prêts ou des avances remboursables, du conseil et du parrainage par des pairs, des facilités…Forts de centaines d’implantations locales, de milliers de bénévoles et de centaines de milliers d’entrepreneurs accompagnés, ces différents réseaux se sont professionnalisés dans leurs méthodes et ont largement contribué à l a diffusion d’une nouvelle culture entrepreneuriale dans les territoires. Ils sont entrés en synergie avec la structuration progressive d’une offre de capital-investissement, orientée vers les projets à potentiel de développement rapide mais aussi avec des réseaux à dominante thématique (coopératives, économie solidaire, mécénat…). Ce nouvel écosystème d’accompagnement ne laisse guère de territoires sans possibilité d’accompagnement structuré.

 

En parallèle se sont également renforcées les offres d’accueil, temporaires ou pérennes, des créateurs (pépinières et hôtels d’entreprises, incubateurs et couveuses, structures d’amorçage, technopoles), appuyés ou générés par des collectivités locales. Des réseaux encore plus structurés se sont affirmés à travers les clusters, réseaux collaboratifs organisés autour de spécialisations productives et de chaînes de valeur. TPE, PME, ETI, filiales ou établissements de grands groupes se retrouvent dans ces organisations interentreprises constituées autour d’une orientation commune de produit ou de marché. Leur fédération nationale, France Clusters, rassemble 300 clusters, auxquels sont affiliées 80 000 entreprises, dont une majorité de TPE et de PME, pour 1,5 à 2 millions de salariés agrégés.

 

Depuis 20 ans se sont multipliés les clubs d’industriels et d’entrepreneurs, avec l’appui fréquent des chambres consulaires, des collectivités et des fédérations patronales locales. Plusieurs milliers de ces clubs servent de lieux d’échange locaux ; à titre d’exemple, dans les Hauts-de-France, 300 clubs rassemblent quelque 15 000 entrepreneurs.

 

♦ Le profil des créateurs d’entreprise a également changé :

La moitié des projets sont portés par des personnes de moins de 40 ans. La montée en puissance de jeunes diplômés issus des études supérieures et de grandes écoles (28% disposent d’un diplôme d’ingénieur ou de troisième cycle universitaire). Une création sur trois est le fait d’une personne expérimentée, ayant déjà créé une ou plusieurs entreprises par le passé. Des « serial entrepreneurs » combinent plusieurs projets simultanés ou successifs (dans une logique de création-développement-cession), de même que se développent des projets collaboratifs de création en équipe.

⇒ 2 conclusions opérationnelles.

♦ Ces constats invitent à développer des stratégies adaptées au public cible des TPE, mises en œuvre au plus près des territoires et centrées sur les phases post-création pour conforter la propension des TPE à recruter, pour renforcer des synergies interentreprises et générer des démarches collaboratives pour sécuriser leurs modèles d’affaires (offres d’interface de type market place, accès à la commande publique, activation des relations d’affaires croisées
entre TPE).  

 

Aujourd’hui diluées dans les statistiques des microentreprises, les TPE doivent redevenir un sujet d’étude spécifique afin de mieux en saisir l’hétérogénéité et les dynamiques globales, en observant leurs évolutions sur longue période et leurs diverses contributions aux économies territoriales.

 

Pour en savoir davantage : https://institut-terram.org/