L’efficacité des aides à l’emploi dans les QPV laisse à désirer.


"LES DISPOSITIFS EN FAVEUR DE L’EMPLOI DES HABITANTS DES QUARTIERS PRIORITAIRES DE LA POLITIQUE DE LA VILLE, exercices 2015-2021", Cour des Comptes, juillet 2022

Une multiplicité de mesures existent, dont les objectifs de recours sont partiellement accomplis, et le plus souvent sans coordination et évaluation suivie.

⇒ Un rappel de la situation

♦ La France compte 1 514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) répartis sur 859 communes du territoire national (1 296 QPV situés dans 763 communes en métropole et 218 QPV situés dans 96 communes d’outre-mer). Au 1er janvier 2018, ils regroupent 5,4 millions d’habitants (4,8 millions en métropole et 0,6 million en outre-mer), soit 8% de la population française. Cette part est demeurée stable entre 2013 et 2018.

 

♦ Dans ces quartiers, le revenu disponible médian est beaucoup plus faible (13 770€) que celui du reste de la population métropolitaine (21 730€) et provient beaucoup plus des prestations sociales (22,9% contre 5 hors QPV) ; le revenu issu de l’activité rémunérée en représente 62,7% en QPV, contre 74,5% hors QPV. Le revenu de solidarité active y est perçu par 25% de la population contre 13% dans les unités urbaines englobantes en France métropolitaine.

 

♦ Dans les QPV, la part des jeunes âgés de moins de 25 ans est de 39,1% (29,9% en métropole). Ils sortent plus tôt du système éducatif et sont plus fréquemment concernés par le décrochage scolaire ; la part des 16-25 ans non scolarisés et sans emploi y est presque le double de la moyenne nationale (29,4% contre 16,6%).

Par ailleurs, 60% des demandeurs d’emploi résidant en QPV n’ont pas le baccalauréat.

 

♦ La population des QPV est caractérisée par une forte présence d’étrangers (21,8%), principalement en Île-de-France et dans les très grandes unités urbaines, soit 2,4 fois plus que dans les unités urbaines englobantes (9,2%) ; leur part y augmente depuis 2010 plus rapidement qu’en France métropolitaine (+ 3,2 points de pourcentage contre + 0,8 point).

Les immigrés y sont également surreprésentés.

⇒ L’emploi

Les données produites depuis une vingtaine d’années par l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), devenu Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) en 2016, montrent qu’entre 1999 et 2019, le taux de chômage des habitants des quartiers prioritaires a toujours été supérieur (entre 1,9 et 2,7 fois) à celui des unités urbaines englobantes.

 

Toutefois en 2019, et pour la cinquième année consécutive, le taux de chômage des personnes en âge de travailler (de 15 à 64 ans) a diminué : il était de 22,5% en 2019 contre 26,7% en 2014. En dépit de cette diminution, la situation de l’emploi dans les QPV reste toujours très dégradée par rapport à celle des autres quartiers : le taux de chômage des habitants des QPV est deux fois et demi supérieur à celui des autres quartiers des unités urbaines englobantes (22,5%, contre 8,4%), une proportion inchangée depuis 2014.

La part des personnes en emploi, mesurée par le taux d’emploi, y est plus faible, de 21,3 points en 2019.

 

♦ Enfin, lorsqu’ils sont en emploi, les habitants des QPV occupent moins souvent un CDI (73,6% vs 85,3 en 2019).

⇒ Les politiques de l’emploi en QPV et leurs résultats : des moyens publics qui augmentent sans parvenir à réduire les écarts entre les habitants des QPV et ceux des autres quartiers

♦ De plus, le ministère chargé de l’emploi n’est pas en mesure de calculer le montant des moyens publics déployés en faveur de l’accès à l’emploi des habitants des QPV, pas même sur les seuls crédits budgétaires dont il a la responsabilité.

 

La Cour estime à environ 0,8 Md€ en 2018 ainsi qu’en 2019 le montant des dépenses imputées au budget de la mission Travail et emploi en faveur de l’emploi des habitants des QPV.

 

Plusieurs exemples d’intervention :

 

♦ La Garantie jeunes et l’accompagnement intensif des jeunes (Pacea) permettent à une proportion significative de jeunes des QPV de bénéficier d’un suivi renforcé. 

Celle-ci est proposée par les missions locales, et consiste, sur une durée de 12 mois, à accompagner la progression d’un jeune vers l’accès à l’emploi à travers des périodes de formation, de mise en situation en milieu professionnel et d’actions spécifiques. L’engagement pris par le jeune de suivre ce parcours s’accompagne d’une allocation mensuelle dont le montant équivaut à celui du RSA pour une personne célibataire, soit 497,50 € par mois. Ce dispositif a été remplacé à compter du 1er mars 2022 par le contrat d’engagement jeune (CEJ) qui s’adresse au même public.

 

En 2021, les missions locales ont atteint leur objectif de 80 000 entrées supplémentaires dans le dispositif Pacea (442 514 entrées contre 350 156 en 2020) mais n’ont en revanche pas réussi à doubler le nombre d’entrées en Garantie jeunes (170 794 contre 91 992 en 2020) prévu dans le cadre du plan de relance.
 
La proportion de jeunes résidant en QPV s’élève à 17,7% pour le Pacea et à 20,3% pour la Garantie jeunes.

 

L’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) est un dispositif d’une durée de 3 à 6 mois mis en place par Pôle emploi en 2014 pour aider les jeunes à retrouver plus rapidement un emploi. Un conseiller spécialisé aide le jeune demandeur d’emploi de moins de 30 ans, qui dispose déjà d’un projet professionnel, à bâtir un argumentaire pour mettre en avant ses points forts et ses atouts face à un recruteur, à optimiser ses techniques de recherche d’emploi, à décrypter les attentes des recruteurs et à élargir son horizon professionnel.

 

Contrairement à 2020 (157 409 entrées pour un objectif de 135 000), l’objectif fixé par le plan « #1jeune1solution » n’a pu être atteint en 2021 (230 759 entrées pour un objectif de 240 000). La proportion de jeunes résidant en QPV s’élève à 12,5 % des bénéficiaires.

 

♦  L’établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide) et les écoles de la deuxième chance accueillent une forte proportion de jeunes issus de QPV.
L’Épide a pour mission d’assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes de moins de 25 ans en difficulté sociale, sans qualification ni emploi. Ses 19 centres répartis implantés dans 15 régions prennent en charge les volontaires en internat, sur une durée de huit mois renouvelables.

 

30% de ses 3 200 volontaires sont issus de QPV (une proportion quasi constante depuis 2015) avec une forte proportion de jeunes issus des départements des Bouches-du-Rhône, de la Seine-SaintDenis et du Nord. Le respect des mesures sanitaires a contraint les centres à restreindre leur capacité d’accueil : de 71% en 2019, le taux d’occupation des centres a chuté à 62,5% en 2020.

 

Les écoles de la deuxième chance (E2C) accueillent des jeunes de 16 à 25 ans sans emploi, ni qualification. Elles leur proposent une formation rémunérée pour s’insérer dans la vie active. Les 139 sites situés dans 12 régions accueillent près de 15 000 jeunes par an, dont 30% issus de QPV.

 

Un appel à projets « Prépa-apprentissage » a été lancé en 2018. L’objectif de 30 000 bénéficiaires en 2021 n’a pu être tenu qu’à hauteur de 19 000 avec une proportion de jeunes résidant en QPV s’élevant à 18%.

 

Les contrats de ville signés en 2014, qui devaient initialement s’achever en 2020, avaient pour objectif, sur la durée des contrats, une réduction de moitié des écarts de taux d’emploi entre les territoires prioritaires et l’agglomération de référence, en particulier au bénéfice des jeunes. Cet objectif n’est pas atteint : le taux d’emploi en QPV (43,8%) et celui hors QPV est de (64,8%), Les jeunes des QPV accèdent d’ailleurs plus difficilement à l’apprentissage.

 

♦ Les contrats aidés remplissent leur objectif de procurer temporairement un emploi, sans pour autant constituer un véritable tremplin.
La trajectoire des 30 000 habitants de QPV bénéficiaires d’un contrat aidé dans les secteurs marchand et non marchand en 2018 montre que près de la moitié des bénéficiaires occupent un emploi un an après (13 500), alors que moins du quart des demandeurs d’emploi de QPV avec un profil comparable, le sont un an après (7 000). Cette différence tient surtout à la proportion de personnes (7 500) qui sont toujours en contrat aidé un an après.

Le contrat aidé n’agit ainsi pas comme un tremplin efficace vers l’emploi traditionnel, ni vers la formation.

 

La bonification de l’aide accordée aux employeurs de résidents de QPV favorise la souscription de contrats aidés dans le secteur non-marchand.
Les parcours emplois compétences (PEC) sont destinés aux personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi. La prescription de ces contrats est effectuée par le service public de l’emploi (Pôle emploi, missions locales et Cap emploi) après un diagnostic global des freins d’accès à l’emploi. Les contrats sont conclus avec des employeurs du secteur non marchand pour les contrats uniques d’insertion ; les employeurs peuvent bénéficier d’une aide mensuelle à l’insertion professionnelle versée par l’État d’un montant de 30 à 60% du Smic horaire brut.

 

L’objectif de 35 000 jeunes en parcours au sein d’une des 4 000 structures d’insertion par l’activité économique (IAE) a été largement dépassé (93 538). Ces parcours (de 24 mois maximum) facilitent l’accès à l’emploi durable des jeunes les plus éloignés du marché du travail grâce à la combinaison de la mise en emploi, d’un accompagnement individualisé et de la formation. La proportion de jeunes résidant en QPV s’élève à 21,7% des bénéficiaires.

 

Les formations destinées à des personnes inscrites à Pôle emploi apportent une plus-value tangible ; sur les 90 000 résidents de QPV entrés en formation en 2018, 30 000 occupaient un emploi et 10 000 étaient encore en formation en fin d’année, tandis que 20 000 demandeurs d’emploi étaient en emploi sans avoir suivi de formation.

Ces formations apportent ainsi une plus-value réelle pour les demandeurs d’emploi en QPV (50% de sorties supplémentaires en emploi). La formation apparait comme un dispositif à privilégier.

 

♦ Les emplois francs (en 2021, 26 527 demandes d’aide) consistent en une aide financière versée à tout employeur privé (entreprise, association) qui recrute un demandeur d’emploi ou un jeune suivi par une mission locale résidant dans un QPV, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée (CDI) ou d’un contrat à durée déterminée (CDD) d’au moins six mois. Pour une embauche en CDI, l’aide versée s’élève à 5 000 € par an pendant trois ans, contre 2 500 € par an sur deux ans au maximum pour une embauche en CDD d’au moins six mois. Attachée au lieu de résidence de la personne recrutée et non à la localisation de l’entreprise, la mesure doit promouvoir la mobilité par l’inclusion dans l’emploi durable. L’aide à l’embauche est financée par le ministère chargé du travail et versée à l’employeur par Pôle emploi.

 

L’aide à l’embauche en emploi franc concerne majoritairement des contrats en CDD (les 3/4 des embauches) qui couvrent un grand nombre de secteurs dont l’aide à domicile, la restauration rapide et les activités des agences de travail temporaire.
Le dispositif concerne majoritairement des hommes (54,6% des demandes acceptées) ; 4% des bénéficiaires sont des travailleurs handicapés et 12% perçoivent le RSA ; les jeunes représentent 26,6% des bénéficiaires, les seniors 11,5%.

 

“Une étude de cohortes serait utile pour mesurer les effets de ce dispositif sur l’emploi des habitants des QPV et observer le devenir des bénéficiaires du dispositif une fois l’aide interrompue.”

⇒ Des dispositifs à adapter à la spécificité et aux besoins des QPV et de leurs habitants.

Le critère déterminant qui distingue les habitants des QPV des autres quartiers est leur éloignement du marché du travail : 41,5% des adultes de 15 à 64 ans résidant en QPV sont inactifs contre 27,3% dans les autres quartiers des unités urbaines englobantes.

 

♦ Les dispositifs en faveur de l’emploi, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et déployés, ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre ces derniers et le reste de la population. Deux phénomènes sont souvent cités pour expliquer la persistance d’une situation dégradée : la mobilité résidentielle (arrivée de populations plus démunies encore que les résidents présents) et le trafic de stupéfiants ; leur portée explicative est cependant incertaine.

En revanche, deux caractéristiques socio-éducatives devraient davantage être prises en compte car leurs effets sur l’insertion économique et l’emploi sont importants : la pauvreté (les QPV concentrent environ 25% des personnes les plus pauvres, une caractéristique transmissible aux enfants qui se traduit par des difficultés scolaires dès le plus jeune âge)  et le décrochage et l’échec scolaires.

 

Le nombre de dispositifs nationaux est conséquent et les acteurs chargés de leur mise en œuvre aussi, de sorte que les usagers, surtout les plus en difficulté, se trouvent face à une architecture complexe et illisible pour eux ; à cela s’ajoutent d’autres facteurs contreproductifs, comme la concurrence entre les dispositifs et leur instabilité, leur complexité administrative et leur dématérialisation ; de ces faits, les dispositifs profitent souvent aux habitants les moins en difficulté.

 

Faute de pilotage national, il n’existe pas de diagnostic partagé par les ministères chargés de l’emploi et de la ville et les outils ne sont pas conçus pour intégrer en amont les éléments nécessaires à l’évaluation des dispositifs. Une attention particulière devrait être portée aux associations de proximité, qui sont essentielles pour toucher les publics les plus éloignés des institutions. Elles ont besoin de moyens financiers stables afin d’inscrire leur action dans la durée. Or, s’il encourage l’innovation, le financement par appels à projets de courte durée peut les fragiliser et réduire la pérennité de leur intervention dans les quartiers.

 

Quant aux entreprises, elles devraient être intégrées dans toute démarche d’insertion dans l’emploi par la mise en place de plateformes d’échanges, d’actions de parrainage, d’immersions ou l’organisation d’évènements sportifs et culturels permettant la mise en contact entre les employeurs et les personnes en recherche d’emploi.

 

Une concertation des acteurs principaux (service public de l’emploi, associations, acteurs économiques et représentants des citoyens) devrait être organisée au niveau national et animée conjointement par le ministère chargé de l’emploi et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

 

Il est paradoxal que l’intention très forte, parmi les jeunes de créer une entreprise, la création elle-même d’entreprise et son accompagnement n’aient pas été prises en compte dans ce rapport, alors qu’elle est une voie marquante d’insertion sur le marche du travail. Je commenterais dans la prochaine note le rapport du Sénat (N° 800), insistant grandement sur l’apport de l’entrepreneuriat.

 

⇒ L’exemple du Royaume-Uni

Entre 2006 et 2011, le Royaume-Uni a mis en place un programme de soutien à l’emploi et l’entrepreneuriat dans 30 zones géographiques défavorisées, à hauteur de 418 M£ sur six ans ; le bilan de ce programme montre que les bénéfices enregistrés dans les territoires concernés se font au détriment des zones situées à proximité, sans que cela aboutisse à une amélioration de la situation des habitants dans leur ensemble.

 

Pour en savoir davantage : Les dispositifs en faveur de l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville | Cour des comptes (ccomptes.fr)