L’innovation dans les quartiers politique de la ville, qu’en dire?


"Étude sur l’innovation dans les quartiers de la politique de la ville", CGET, mars 2017

L’étude s’intéresse aux dynamiques d’innovation au service du développement économique et de l’emploi dans des quartiers prioritaires; ces territoires apparaissent comme ayant une capacité faible à innover car peu dotés des facteurs classiques facilitant l’innovation : concentration des talents et des compétences, présence d’activités de recherche et développement, ou facilité d’accès aux financements. Le manque de données quantitatives consolidées sur les quartiers prioritaires en matière d’innovation n’a pu permettre de dresser un état des lieux statistique robuste sur les ressources disponibles et les dynamiques à l’œuvre. Les données disponibles ont toutefois été valorisées et analysées, notamment concernant le niveau de formation et de qualification de la population, l’importance de la recherche ou encore les dynamiques d’entrepreneuriat au sein des quartiers.   

Une base de projets innovants au sein des quartiers prioritaires regroupant une centaine d’initiatives a été constituée, calée sur la diversité et la représentativité territoriale des projet et la dimension structurante des projets retenus en termes notamment d’impacts sur l’emploi et le développement économique . Noter l’étude « Entreprendre dans les quartiers » de Bpifrance le Lab et du Think Tank Terra Nova, plus particulièrement tournée vers la création d’entreprises dans les quartiers, montrant un potentiel et une dynamique existante.  

 

La base constituée fait apparaître:

-La répartition territoriale des projets montre le poids prédominant des grandes métropoles et des grandes régions du zonage de la géographie prioritaire (Ile-de-France avec 39% des projets dont la Seine-St-Denis, Hauts-de-France, PACA, Rhône-Alpes).

-Les thèmes abordés sont le soutien à la création d’activité et d’entreprises (30%), l’insertion (25%), la formation (15%), le logement/cadre de vie (11%), le développement durable (11%) et la mobilité (7%).

-Des innovations très diverses : intégrant des volets à la fois technologiques, marketing et sociaux, et des innovations structurant durablement des partenariats locaux entre des acteurs privés et publics (‘immobilier tertiaire, compte Nickel)

la typologie des innovateurs : des structures de l’ESS (41%), des collectivités mixtes (20% : entreprises, associations, collectivités territoriales, acteurs académiques), des entrepreneurs dont des grandes entreprises et leurs fondations (17%), des acteurs publics ou des associations relevant de la politique de la ville (10%), des bailleurs (8%), des universités/grandes écoles (4%).

-Certains projets innovants se déploient à une échelle locale, d’autres ont un potentiel fort de rayonnement à une échelle nationale avec des perspectives d’essaimage.  

 

Des limites  

L’analyse de quelques données existantes:  Le niveau d’actifs titulaires de diplômes de niveau I (Bac + 4 et plus) est plus bas dans les QPV que dans la moyenne des unités urbaines dont ils relèvent (2,9% de la population vs 6,9%). La part des chercheurs du secteur public au sein de la population des QPV est aussi nettement inférieure : 0,15% vs 0,66% pour les actifs employés au sein d’établissement de R&D et 0,13% vs 0,37% pour la recherche publique. La densité des établissements du secteur de la R&D scientifique ramenée au nombre d’habitants (pour 1000 habitants) est de 2,8 vs 10,9.  

 

Notons que pour de nombreux opérateurs de l’innovation « classique » (innovation à finalité économique, orientés R&D), tels que la BPI, les Agences Régionales de l’Innovation, des incubateurs, mais aussi les services des collectivités territoriales en charge de ces questions, les QPV ne constitue pas un espace d’analyse ou d’action spécifiquede telles opérations sont davantage conçues comme des actions d’aménagement du territoire et n’interrogent pas nécessairement les pratiques, méthodes et ressources des acteurs qui s’y installent. Le constat est peu ou prou similaire pour les opérateurs du soutien à l’innovation sociale, dont le fonctionnement usuel ne prend pas en compte la maille spécifique des QPV.    

 

Au regard de tels constats, il semble nécessaire de faire évoluer les grilles d’analyse utilisées par les acteurs de l’accompagnement et du financement, afin d’éviter que celles-ci ne constituent des barrières à l’entrée pour des projets innovants dans leurs modèles économiques :

-d’une part, l’évaluation des retours sur investissement en matière d’innovations sociales est souvent limitée et n’intègre pas de filtre territorial spécifique,

-d’autre part, l’évaluation des projets sous un versant économique est souvent en décalage avec des dynamiques de promotion de l’innovation frugale qui intègrent des logiques de type « smart costs », faiblement valorisés par les indicateurs financiers existants,

-Le constat d’une hybridation croissante des modèles économiques des projets questionne les modes d’analyse, notamment financiers. De fait, évaluer la viabilité économique de ce type de projet nous semble de moins en moins pouvoir être réalisé via des grilles financières ne mixant qu’une ou deux de ces ressources (marchandes ou publiques), mais doit de plus en plus intégrer une gamme de critère enrichis qui permettent de prendre en compte ces nouveaux assemblages de ressources dans la durée.

-L’innovation pour un certain nombre d’acteurs de la politique de la ville est une notion souvent amalgamée avec la création d’activité et d’emploi, ou estimée difficilement applicable à des quartiers manquant de ressources pour soutenir l’innovation.  

 

Toutefois, une dynamique est encours :

-Différents opérateurs du soutien à l’innovation ou à l’appui à la création d’entreprise ont renforcé leur présence sur les QPV et ont, pour certains, développé des formes d’accompagnement dédiées aux projets et aux entrepreneurs des QPV -la Caisse des dépôts et consignations promeut différentes démarches et dispositifs de coordination des opérateurs existants sur les QPV – BGE et France Active ont annoncé en juin 2016 un renforcement de leur partenariat, afin de mieux articuler l’accompagnement et le financement des entrepreneurs avec une attention particulière apportée aux territoires fragiles et aux entrepreneurs issus ou créant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

-Une implication croissante d’acteurs tiers selon un principe de RSE, voire de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) -Des bailleurs actifs et de plus en plus volontaires  

 

En matière de nature d’innovation, trois dimensions prédominent :

 

1/ Innovation de service ou d’usage. Le projet s’adresse à de nouvelles cibles, répond à un besoin non satisfait jusqu’alors, ou encore engage un changement de pratique. Dans beaucoup de cas, il s’agit de mettre en place de nouveaux services permettant de favoriser l’insertion professionnelle, par exemple par un nouveau mode de mise en relation, par un nouveau service de formation / éducation utilisant les compétences présentes sur le territoire, ou encore la création de structure dédiée à la professionnalisation; une majorité de projets présentent par ailleurs un caractère d’innovation sociale, en visant à répondre à des enjeux sociaux spécifiques aux quartiers.

 

2/ Innovation dans le mode de partenariat et le montage organisationnel : la capacité à répondre à un besoin identifié et non satisfait tient de plus en plus à la capacité à créer et mettre en œuvre des dynamiques partenariales entre des acteurs aux ressources diverses et complémentaires.

 

3/ Innovation du modèle économique: la plupart des projets démontrent une innovation dans la mise en place de nouveaux modèles économiques, c’est-à-dire qu’ils cherchent à créer de nouvelles sources de création de valeurs et de nouveaux modèles de revenus, pour tenter de stabiliser la pérennité de leur modèle en échappant à une logique unique de subventions.  

 

Des impacts directs

-en matière de création d’emplois : ils peuvent apparaître minimes à l’échelle d’un bassin d’emplois; Il faut considérer plus largement les dynamiques engagées par les structures et regarder les logiques d’innovation mises en place qui reconfigurent les dynamiques territoriales en place, en complétant des dispositifs existants, en créant de nouveaux liens entre des acteurs, etc.

-en termes de structuration de filière et de réseaux d’acteurs : le développement de filières dans une logique d’économie circulaire peut être un enjeu de développement pertinent pour les quartiers prioritaires, plus particulièrement sur des territoires caractérisés par des savoir-faire locaux ou encore un historique industriel spécifique. Par ailleurs, le rapprochement de différents acteurs (entrepreneurs, demandeurs d’emploi, etc.) est véritablement créateur de valeur économique en tant qu’il permet à des « outsiders » d’accéder à des marchés relativement fermés.

-Les services proposés constituent de nouvelles ressources pour les professionnels ou les habitants du territoire

-Les porteurs de projets cherchent un fonctionnement économique autonome et indépendant de subventions publiques

-Les projets contribuent à optimiser les fonds publics en participant à des économies notables pour la société

-Les projets participent à la transformation de l’image des quartiers prioritaires et favorisent une meilleure cohésion sociale   

 

Au titre de la démultiplication des impacts des innovations identifiées, deux cas de figure peuvent être distingués: 

Des innovations « micro » territorialement ancrées , mais la consolidation des modèles économiques et le changement d’échelle constituent un enjeu fort; la fragilité structurelle de certaines initiatives, leur enfermement local constituent trop souvent le lot d’innovateurs et d’entrepreneurs des quartiers qui se trouvent limités dans leur développement, d’où la présence d’acteurs « connecteurs » qui créent des liens entre les innovateurs et les différentes parties prenantes de l’écosystème économique (financeurs, experts, partenaires économiques)

-Des dispositifs et acteurs liés aux innovations technologiques et de services (universités, incubateurs / accélérateurs de projets, start-up) dont le lien au territoire est plus ténu et dont les retombées économiques en faveur des quartiers prioritaires s’avèrent plus faibles : les externalités positives en faveur des quartiers prioritaires doivent y être développées au-delà de l’existant et l’ancrage territorial durable de ces dispositifs constitue un enjeu central.   Suivent le résumé de 17 cas et des préconisations