L’artisanat a toute sa place dans la compétitivité, souvent inconnue et peu explorée


« La compétitivité artisanale : atouts, freins et spécificités » Cahier de synthèse de l’Institut Supérieur des Métiers, octobre 2013

 « Dans son acception économique la plus générale, le concept de compétitivité désigne la capacité d’une offre de produits ou de services à maintenir et développer ses parts de marché : il invite à mesurer des gains ou des pertes dans la “position concurrentielle” de cette offre sur son propre marché. »

 

Les différentes formes de compétitivité :

– L’approche productiviste par les coûts (compétitivité “prix”), la plus connue

– L’approche “High Tech” par l’innovation (compétitivité “hors prix”) ; la problématique principale devient celle de l’investissement en R&D

– L’approche par la qualité (compétitivité “par le haut”)

-« L’approche par l’innovation de rupture, comme la recherche systématique du prix le plus bas, reste en effet impuissante à rendre compte des motivations implicites ou explicites de la clientèle, qui résident exclusivement dans la galaxie des valeurs attribuées à l’acte d’achat (valeur d’usage du produit, service autour du produit dont SAV), et les valeurs liées à l’image (appartenance, proximité, authenticité) ». A ce niveau, les artisans se reconnaissent.

 

La compétitivité de l’entreprise artisanale est étrangère aux ratios quantitatifs de productivité, de rentabilité, de croissance, mesurés par les analystes financiers et les actionnaires ; elle est aussi absente de la statistique nationale, qui privilégie le critère de la taille sur celui du métier, et ne dispose pas des outils nécessaires pour établir des mesures de “positionnement concurrentiel”. Mesurer la compétitivité artisanale conduit à s’intéresser aux performances qui les caractérisent dans l’adaptation et la diffusion quotidienne de l’innovation, le savoir-faire.

 

L’artisan, parce qu’il traite davantage avec une clientèle qu’avec un marché, est bien placé pour faire évoluer son offre au “feeling” et y introduire des innovations commerciales ou techniques que la méthode des essais et des erreurs lui permet d’affiner. Cette “orientation client” et ce “dialogue professionnel” construisent la valeur d’une offre nouvelle et assurent sa faisabilité.

 

Prenons l’exemple de la performance industrielle : une étude 2012 de l’ISM observe que 75% du nombre total des entreprises de sous-traitance industrielle sont artisanales, regroupant 90 000 salariés, travaillant souvent pour des secteurs de pointe comme la plasturgie, l’aéronautique ou l’aérospatiale…Cette enquête a permis d’établir 2 indicateurs de compétitivité : 85% interviennent en sous-traitance de “spécialité” (le donneur d’ordre ne dispose pas du savoir-faire requis pour fabriquer la pièce), près du tiers ont développé des bureaux d’études et proposent également un apport en conception/innovation ; en sus de la compétence technique, elles sont appréciées pour leur réactivité face aux contraintes ou aux imprévus de la production, et pour la relation de confiance établie avec leur client.

 

Autre exemple, celui de l’exportation (4,3 milliards d’euros, 50 000 emplois induits)) : selon une autre étude de l’ISM, près du tiers des exportateurs français sont des entreprises artisanales (surtout positionnées dans le secteur de l’industrie manufacturière), les 2/3 travaillant essentiellement en B to B, à partir d’un savoir-faire souvent protégé par le biais de dépôts de marques, modèles et brevets ; d’ailleurs, dans 64 % des cas, la première exportation se trouve déclenchée par la sollicitation directe d’un client étranger (1/4 seulement se sont montrées proactives pour initier leurs premières ventes à l’étranger) ; toutefois, la part du marché artisanal dans les exportations françaises reste modeste faute de responsable export et d’investissements commerciaux conséquents.

 

Dernier exemple : l’apport des “nouveaux entrants” : 34% des créateurs ou des repreneurs qui s’installent aujourd’hui dans l’artisanat ont acquis leur première expérience professionnelle au sein d’une PME ou d’une grande entreprise ; entre 2006 et 2010, la part des seniors est passée de 10 à 18% ; beaucoup y avaient un statut de cadre ; par ailleurs 26% des nouveaux entrants sont diplômés de l’enseignement supérieur (15% en 2006) dont 1/3 dans l’artisanat de production industrielle ; 46% sont en SARL.

 

Les principaux freins au développement de la compétitivité artisanale

-Le poids de la fiscalité : le “taux implicite d’imposition” (selon le rapport 2009 de la Cour des Comptes) est de 30% pour les professionnels sans salarié et les dirigeants de TPE, de 22% pour les PME, de 13% pour les entreprises de plus de 2000 salariés, et de 8% seulement pour les enseignes du CAC 40.

– Le coût de la complexité réglementaire estimé par l’OCDE à 3 points du PIB national (60 milliards d’euros).

Le frein de l’inflation législative, réglementaire et fiscale en France qui génère une grande instabilité, obstacle aux projets de développement. Une enquête menée fin 2012 auprès de 5 000 petites entreprises innovantes (dont 53 % de TPE) a situé en effet la rigidité du code du travail comme principal frein à la compétitivité aux yeux des dirigeants, à égalité avec le coût des charges sociales, loin devant la pression fiscale, les difficultés de recrutement de personnel qualifié et celles de l’accès au crédit bancaire .

 

Ajoutons la participation à l’objectif “développement durable”

• L’artisanat et le commerce de détail proposent des biens et des services de proximité non dé-localisables sur l’ensemble du territoire national

• L’entreprise artisanale et le commerce de proximité offrent de l’insertion professionnelle, de l’emploi “durable” et de la promotion sociale à plus de 4 millions d’actifs sur leurs lieux de vie (dimension sociale).

• Presque tous les métiers de l’artisanat utilisent en priorité des matières premières naturelles, proches des lieux de production ou de transformation et inscrites dans l’identité territoriale de leur région (dimension environnementale).

 

Quelques spécificités :

 

-Entre 1998 et 2008, dans la période où l’industrie française perdait 71 000 salariés par an, l’artisanat a créé 100 000 nouvelles entreprises et généré 600 000 emplois supplémentaires (25% du total de la création nette d’emploi en France sur la période).

Selon les statistiques de l’URSSAF, les salariés des TPE françaises se caractérisent par des proportions plus élevées de jeunes de moins de 30 ans (32% contre 27) et de seniors de plus de 55 ans (15% contre 10).

-L’Observatoire de la vie au travail (OVAT) établit chaque année, sur un échantillon très large de plus de 5 000 salariés, l’état des lieux du vécu du travail en France, pour identifier les leviers de la “performance sociale” ; cette enquête menée depuis cinq ans indique que les motifs de l’insatisfaction au travail des Français se concentrent sur trois volets : le manque de transparence, le manque de proximité, le manque d’enthousiasme ; or les salariés qui subissent le moins ces manques et vivent le mieux leur travail, sont ceux des TPE.

 

« La question des atouts de compétitivité transversaux à l’ensemble des activités de l’artisanat renvoie ainsi à des problématiques beaucoup plus larges, encore fort peu étudiées, qui sont celles de son potentiel dans l’émergence des nouveaux paradigmes du développement durable, sous toutes ses dimensions, et de l’économie de proximité, définie de la façon la plus riche comme une économie de la relation. »