Pourquoi certaines zones d’emploi ont-elles des taux de chômage plus faibles que d’autres en 2018 ?


"Chômage et territoires : quels modèles de performance ?", France Stratégie, la note d'analyse N°93, juillet 2020

Méthodologie : les sources mobilisées sont les taux de chômage localisés 2003-2018, les données Estel 2006-2017 à l’échelle de la zone d’emploi pour quantifier les emplois, au lieu de résidence et au lieu de travail, les données Acoss 2008-2018 pour les emplois salariés privés et les indices de structure productive, les données Sirene 2018 et Clap 2015 pour les données d’entreprises ainsi que les données du recensement 2006-2016 pour toutes les variables concernant la population des zones d’emploi.

 

60 zones d’emploi ont, soit des taux de chômage faibles, soit ont connu une régression de leurs taux de chômage. Quelles sont-elles ? Quelles sont leurs caractéristiques ?

 

À la différence de la plupart de ses partenaires européens, la France affiche depuis près de 30 ans un taux de chômage relativement stable, à un niveau élevé, constamment supérieur à 8%, une inertie qui recouvre des situations territoriales très hétérogènes.

 

De fortes disparités territoriales en matière de taux de chômage sont observées : en 2018, le rapport est de 1 à 4 entre les Herbiers en Vendée (4,5%), et Agde-Pézenas (16,5%).

Les zones d’emploi plus petites (304 zones) enregistrent des taux proches de la médiane. Près de 40% de ces territoires présentent un taux de chômage compris dans un intervalle d’un point autour de la médiane (8,4%) et près de 70% dans un intervalle de deux points.

 

C’est sur les queues de distribution que se concentrent les disparités les plus fortes : les meilleures performances s’étalent entre 4,5 et 6,3%, les plus mauvaises entre 10,5% à 16,5%, avec notamment 20 territoires à plus de 12,4%. 

 

De 2006 à 2018, les dégradations du taux de chômage sont bien plus nombreuses que les améliorations : parmi les 20% qui s’écartent le plus de la tendance nationale, 56 font significativement moins bien, contre seulement 13 significativement mieux. Parmi les mauvaises performances, on en recense de nouveau 13 en Occitanie, dont 9 sont contiguës, 7 en  PACA et 7 dans les Hauts-de-France.

 

L’étude observe plus finement les zones d’emploi aux taux de chômage faibles ou en voie d’amélioration et distingue 3 groupes :

⇒ Le groupe plein emploi

Il comprend les 20 zones d’emploi qui affichent les taux de chômage les plus faibles, entre 4,5% pour les Herbiers et 6% pour Haguenau. Il s’agit de zones qui connaissent depuis 30 ans des taux de chômage faibles et qui se répartissent sur le territoire national de façon très peu uniforme; toutefois, le sud apparaît sous-représenté avec 3 territoires contigus et les territoires au nord de Paris y sont totalement absents, alors que  l’ouest (5 régions) est surreprésenté avec 14 sur 20 zones d’emploi.

Noter que la bonne performance en matière de chômage n’est pas nécessairement corrélée aux dynamismes de population et de l’emploi. 

 

Ces bonnes performances manifestent des « grappes » de territoires contigus avec des clusters partageant des profils ou des modèles productifs communs. Ce sont :

– Les Marches de Bretagne : des zones très industrielles de densité moyenne, attractives sur le plan résidentiel et très dynamiques en matière de création d’emploi (Vitré, les Herbiers, Cholet et Ancenis, à un degré moindre Laval et Avranches) ; elles se caractérisent par une complémentarité étroite avec les zones d’emploi métropolitaines dont elles sont contiguës.

– la périphérie de Strasbourg :  3 zones industrielles (Molsheim-Obernai, Haguenau et Saverne), mais au profil plus résidentiel, avec une surreprésentation de cadres et de professions intermédiaires, rare dans les territoires industriels.

– La grande couronne parisienne : des territoires au profil métropolitain (Plaisir, Saclay et Rambouillet), essentiellement résidentiels, marqués par la présence de populations qualifiées et par une spécificité francilienne en matière de mobilités domicile-travail.

– Les territoires ruraux du sud avec 3 zones d’emploi au profil semi-rural, des espaces à faible densité où subsiste une forte activité agricole (Rodez, Aurillac et la Lozère).

⇒ “Le voisinage : des champions à l’échelle locale”,

avec 20 zones d’emploi affichent les meilleures performances en matière de taux de chômage, mais par rapport aux zones directement adjacentes. Ces territoires se démarquent par des taux de chômage inférieurs de 1,8 à 3,7 points de pourcentage à ceux de leurs voisins ; 7 de ces territoires figurent dans le groupe Plein emploi.

Par construction, le groupe Voisinage est plus éclaté sur le territoire national que le groupe Plein emploi. Les 20 zones se répartissent dans 9 régions, avec une surreprésentation du quart nord-est (7 en Grand-Est, 4 en Hauts-de-France et 1 en Bourgogne-Franche-Comté). Ces régions se caractérisent par de fortes disparités infrarégionales, et une grande hétérogénéité de profils (on y trouve des profils agricoles, métropolitains, touristiques, industriels mais aussi généralistes); elles sont moins densément peuplées que leurs voisines.

⇒ Un groupe dit en progrès :

On y trouve les 20 zones d’emploi où le taux de chômage a le plus baissé entre 2006 et 2018 ; il peut être divisé en 2 groupes :
– Le premier est composé de 9 territoires qui cumulent une baisse du taux de chômage entre 2006 et 2008 avec un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale en 2018 (allant de 5,6 % pour Beaune à 8,2% pour Châtellerault) ; il est  éclaté sur le territoire national, 

– Le second comprend 11 territoires qui, malgré la baisse enregistrée entre 2006 et 2018, présentent encore des taux de chômage élevés, allant de 9,6% pour Mulhouse et Belfort à 13,8% pour Calais; mais ils connaissent un réel rattrapage. Il dessine un arc le long
des frontières du quart nord-est, allant des Hauts-de-France jusqu’au Creusot-Montceau. On y trouve plutôt des profils généralistes.

⇒ Les clés de la performance : savoir exploiter les ressources

♦ La proximité d’une métropole :

Alors que les métropoles sont relativement absentes des territoires performants, (avec seulement Paris et Aix-en-Provence), ce sont 16 zones adjacentes à une métropole, voire 19 si on ajoute Rambouillet et Plaisir, sous influence de la métropole parisienne, et Arras, proche de la métropole lilloise, totalisant 12 zones dans le groupe plein emploi et 7 dans le groupe voisinage.

La proximité d’une métropole en effet génère des externalités positives : accès à un large marché du travail couvrant une grande diversité de secteurs, proximité des fournisseurs et des débouchés, émulation, présence de secteurs innovants, équipements et transports. Mais il y a aussi des externalités négatives de la métropole qui peuvent être favorables (coût du foncier, nuisances, densité urbaine et pollutions atmosphériques).

 

♦ Des orientations sectorielles pour valoriser les ressources locales. Les zones d’emploi performantes en matière de chômage semblent avoir mieux tiré profit que d’autres de caractéristiques communes, telles :

L.es ressources agricoles et industries agroalimentaires (légère surreprésentation des zones d’emploi disposant d’une industrie agroalimentaire) :  7 territoires des Marches de Bretagne dans le groupe Plein emploi, mais aussi 4 territoires dans les Hauts-de-France (maraichage et pêche),

– Un modèle touristique avec 12 zones d’emploi : tourisme viticole à Beaune, de montagne au Mont-Blanc, balnéaire à Berck-Montreuil ou mixte à Sarrebourg. Cependant, à l’exception du Mont-Blanc, ces territoires ont su éviter la monoactivité ; le tourisme y fait partie d’un modèle de développement diversifié : Avranches, Beaune et Saint-Nazaire font coexister le tourisme avec une forte activité industrielle tandis que Colmar, Lons-le-Saunier ou Sarrebourg ont un profil équilibré entre sphère présentielle et sphère productive.

– Des territoires métropolitains misant sur l’innovation : 2 métropoles (Paris et Aix-en-Provence), des territoires franciliens (Rambouillet, Plaisir et Saclay).

– Transformer la frontière en zone ressource (Forbach et Haguenau avec la frontière allemande et Saint-Louis, Mulhouse et Annecy avec la frontière suisse).

 

♦ Territoires, industrie et désindustrialisation

La surreprésentation de territoires industriels souligne combien, en dépit de la désindustrialisation à l’œuvre en France depuis plusieurs décennies, la concentration en emplois industriels peut être corrélée à une bonne performance en matière de chômage. Les 50 zones d’emploi aux plus fortes parts d’emploi industriel présentent un taux de chômage moyen de 7,5% en 2018, avec seulement 9 zones au-dessus de la moyenne nationale.

 

Plusieurs configurations :

– Forte diversification industrielle : les Marches de Bretagne et les zones d’emploi à proximité de Strasbourg, avec une relative faible spécialisation sectorielle, ce qui limite leur vulnérabilité face aux chocs asymétriques.
– Des industries florissantes dans des zones plus présentielles : Cherbourg et Saint-Nazaire sont les 2 seules zones d’emploi industrielles  qui ont vu leur part d’emplois industriels augmenter entre 2008 et 2018, portées par des industries spécifiques et en croissance (nucléaire pour Cherbourg et navale pour Saint-Nazaire). et doublés d’une économie présentielle (tourisme littoral à Saint-Nazaire).
– Des territoires industriels en transition : 8 zones d’emploi dans le groupe en progrès ont détruit de nombreux emplois industriels en 10 ans tout en restant industrialisées. Ils sont situés dans les Hauts-de-France, le Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté, et sont majoritairement tournées vers une industrie traditionnelle. La perte des emplois dans l’industrie y a été compensée par une hausse des emplois dans les services.

 

Pour en savoir davantage : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-na-93-chomage-et-territoire-juillet.pdf