Un bilan plus que mitigé des pépinières d’entreprises financées par le FEDER


« Le FEDER a-t-il contribué avec succès au développement de pépinières d’entreprises », Cour des Comptes européenne N°7 FR 2014

Cette analyse permet de poser nombre de questions pour améliorer le fonctionnement de pépinières, notamment en s’appuyant sur la comparaison avec les pépinières du réseau EBN

L’objectif principal de l’audit a consisté à évaluer si les pépinières d’entreprises cofinancées par le Fonds européen de développement régional (FEDER) avaient soutenu avec succès de jeunes pousses à fort potentiel.

L’audit s’est déroulé dans les locaux de la Commission européenne et dans les quatre États membres ayant octroyé, au titre du FEDER, les montants les plus importants à la mise en place de pépinières d’entreprises (République tchèque, Espagne, Pologne et Royaume-Uni). Sur la base d’une analyse de listes de projets ; la Cour estime qu’un financement de 1,2Md€ a été alloué à des actions contribuant à l’implantation de pépinières dans les quatre États membres de 2000 à 2013. Le coût total moyen par projet s’élevait à 6,1M€ (42% FEDER, 40% à charge des États concernés).

Les contrôles sur place ont concerné un échantillon de 27 pépinières, ayant bénéficié de la contribution du FEDER entre 2000 et 2006, en activité continue pendant au moins trois ans, comparé à un modèle de référence établi sur la base des résultats obtenus, dans les six États membres, par 65 pépinières certifiées EC‑BIC, appartenant au réseau européen EBN.

 

La grande majorité des pépinières visitées offraient des espaces de travail attrayants à leurs clients. Le profil des installations auditées allait des simples bâtiments de bureaux à des laboratoires entièrement équipés ; 23 sur 27 offraient des conditions de travail adaptées aux besoins des différentes PME résidentes et favorisaient la collaboration et le réseautage ; toutefois, seules 15 pépinières avaient été achevées dans les délais prévus dans le dossier de candidature de projet. L’audit n’a pas révélé de dépassements de coûts importants ; les dépassements de coûts de 7 projets avaient été financés par les demandeurs avec leurs propres ressources.

 

Au cours de la période de référence, Le nombre moyen de personnes ayant travaillé dans les pépinières auditées au cours de la période de référence était de 164. Toutefois, les jeunes pousses n’en absorbaient qu’une petite partie.

 

L’efficacité des pépinières de référence certifiées EC‑BIC, dont la taille était comparable à celles des pépinières auditées par la Cour, était bien supérieure : dans les pépinières auditionnées, chaque pépinière a en moyenne aidé à élaborer 20 nouveaux plans d’activité qui ont débouché sur la naissance de 15 jeunes pousses et sur la création de 27 emplois ; par contre, chaque pépinière de référence avait aidé à élaborer 101 nouveaux plans d’activité, soutenu la naissance de 65 nouvelles jeunes pousses, conduisant à la création de 147 nouveaux emplois.

Certes la plupart des pépinières «FEDER» auditées n’avaient commencé leurs activités que récemment, ce qui a indéniablement nuit à leur efficience.

 

Indicateurs (moyenne par pépinière)

Pépinières auditionnées

Pépinières de référence

Pré-incubation

Demande de renseignement concernant l’appui proposé

92

738

 

Plans d’activité proposés

20

101

 

Projets de création d’entreprise

19

91

incubation

Jeunes pousses, y compris non hébergées

15

65

 

Emplois crées dans les jeunes pousses

27

147

 

Emploi moyen créé par jeune pousse

1,8

2,3

 

Nombre de locataire en pépinière

26

35

 

Nombre d’employés dans l’ensemble des locataires

164

166

 

Nombre d’employé par locataire

6,4

4,7

Post incubation

PME existantes aidées

54

168

 

Emplois crées par PME ne post incubation

0,4

0,3

 Même si, sur 27 pépinières auditées, 22 avaient élaboré un plan d’activité conformément aux obligations découlant de la réglementation régissant les aides du FEDER, seule la moitié d’entre elles y avaient intégré des informations détaillées sur leurs activités et des objectifs de résultats. Une analyse des documents de planification d’activité des pépinières a révélé des insuffisances : absence de description des programmes d’incubation, absence de précision concernant les ressources (comme le personnel qualifié), absence des données relatives au coût de l’incubation. Sans ces informations indispensables, il est impossible d’évaluer de manière fiable la viabilité économique future d’une pépinière d’entreprise.

 

De plus, pour obtenir des résultats de manière efficace, une pépinière ne peut se contenter de proposer son aide sous la forme d’un simple catalogue des services d’incubation disponibles ; les plus efficaces procèdent au cas par cas, proposant un programme d’incubation sur mesure, combiné à d’autres initiatives d’aide à la création d’entreprises (comme des conférences données par des orateurs invités). 53% seulement étaient en mesure de fournir des conseils en matière de planification financière et de financement.

Ces pépinières  ne participaient pas directement au développement des activités de leurs clients et ne travaillaient pas activement avec les entreprises résidentes pour déterminer et fixer les objectifs opérationnels de ces dernières ; six seulement faisaient l’objet d’audits de la qualité visant à améliorer la qualité globale des services d’incubation ; cette coopération limitée entraînait une impression d’«isolement» par rapport à la pépinière et avait aussi un effet négatif sur le sentiment de cohésion entre résidents, ce qui n’a pas favorisé les synergies entre eux.

 

Seul un nombre relativement faible d’employés participant directement aux activités d’incubation possédaient des compétences leur permettant de fournir une aide plus spécialisée aux entreprises dans des domaines tels que l’expertise sectorielle (39%) ou l’accès aux possibilités de financement (43%). Par ailleurs, en raison de ce manque de coopération, les pépinières n’avaient que peu de connaissances structurées quant aux besoins et aux réalisations des entreprises qu’elles hébergeaient.

 Il est important de pouvoir offrir aux entrepreneurs potentiels une aide intensive au stade de la pré‑incuba­tion ; ceci étant, l’investissement en temps que cela requiert de la part des employés des pépinières est considérable ; au total, 14 sur 27 n’offraient pas ce type de service.

Les pépinières d’entreprises devraient jouer un rôle primordial dans l’infrastructure de soutien aux entreprises de chaque région. Cependant, seules 12 pépinières avaient été consultées pour l’élaboration de stratégies régionales d’innovation.

 

Seules 15 pépinières sur 27 avaient mis en place un système permettant l’observation et l’enregistrement réguliers des activités d’incubation ; les autres pépinières limitaient la collecte de données aux statistiques obligatoires requises par les règles comptables et la législation fiscale. Les pépinières étaient souvent incapables de fournir des données financières détaillées concernant la valeur de l’aide octroyée à chacun de leurs clients ; seules 5 pépinières sur 27 utilisaient les données relatives aux performances de leurs clients pour améliorer la gestion de leur structure.

 

La Cour considère que pour être valable, le modèle d’entreprise d’une pépinière devrait lui permettre d’atteindre ses objectifs stratégiques tout en tenant compte des contraintes économiques ; pour cela, il faudrait que la pépinière soit sélective (projets d’entreprise réalisables, innovants et compétitifs).

 

L’incubation d’entreprises n’est généralement pas une activité rentable: l’aide et les services sont fournis gratuitement, ou à un tarif insuffisant pour couvrir les coûts supportés par les pépinières ; or seules sept s’étaient assuré que le soutien financier apporté par les parties prenantes serait à tout moment disponible ; les 20 autres pépinières, censées devenir financièrement autonomes, ont été forcées  de se focaliser sur le volet financier de leurs activités (la location de surfaces de bureaux), qui représentaient 72% de leur chiffre d’affaires total à comparer à la population des pépinières de référence (34% du chiffre d’affaires, le reste étant couvert par des financements publics ou privés). Les pépinières dont la continuité du financement n’était pas garantie, étaient obligées de réduire leurs coûts, conduisant à une baisse du niveau de soutien proposé et à une simplification des programmes d’incubation ; la location de bureaux constituant la principale source de rentrées des pépinières, celles-ci se sont efforcées de la porter à son maximum.

 

Quatre d’entre elles avaient complètement abandonné toute activité d’incubation, se transformant en simples centres d’affaires offrant des bureaux commerciaux sans aucune fonction de soutien aux entreprises ; 4 autres avaient abandonné partiellement  leurs activités d’incubation après l’expiration de la période de durabilité de cinq ans.

 

Les avantages effectifs générés par les fonds publics ont été transférés aux propriétaires des installations (des entreprises privées, des autorités locales, des chambres de commerce ou des universités) et non aux entrepreneurs et jeunes pousses locaux ; la Cour estime que la valeur totale des financements ainsi affectés pourrait s’élever à 30M€, soit environ 2/5éme du total des fonds du FEDER investis dans les projets de pépinières d’entreprises auditées.

 

Le processus d’évaluation et de sélection des projets ne tenait pas suffisamment compte de certains facteurs essentiels de l’activité d’incubation, qui interviennent lors de la phase opérationnelle :

– la qualification du personnel: la Cour a constaté que dans un cas sur trois, un cofinancement avait été octroyé à des projets sans qu’il puisse être démontré qu’au moins un employé de la pépinière disposait des connaissances requises, voire de la moindre expérience, dans le domaine concerné.

– la pérennité financière des incubateurs : les incubateurs n’étaient pas tenus de fournir des informations détaillées sur l’étendue du soutien aux entreprises et sur les coûts ou les résultats escomptés ; Ils ne devaient pas non plus fournir d’informations sur les stratégies qu’ils avaient mises en place pour couvrir un éventuel manque de financement des dépenses opérationnelles et pour garantir la continuité des services d’incubation.

– les avantages escomptés pour l’économie régionale n’étaient pas pris en considération lors de la procédure d’évaluation ; l’absence de critères d’évaluation normalisés rendait également impossible l’évaluation de l’efficience des projets quant au coût par emploi créé ou par nouvelle PME

 

Les autorités locales ne sont pas parvenues à évaluer correctement l’efficacité des résultats obtenus par les pépinières, notamment parce qu’elles n’avaient pas pris de mesures pour veiller à ce que les systèmes de gestion des pépinières remplissent leur rôle fondamental de contrôle de la performance.

De plus, si au cours de la dernière décennie, la Commission a effectivement fait certains efforts pour rassembler des données sur les pépinières d’entreprises, l’expérience et les connaissances accumulées ont été depuis perdues en raison du manque de continuité des initiatives de la Commission (plus de nouvelles études sur les pépinières d’entreprises, et donc plus de connaissances appropriées et actualisées à partager).