« C’est la façon dont l’administration fait appel à des conseils extérieurs qui peut soulever de légitimes interrogations, révélant certaines faiblesses dans l’organisation du travail de l’administration et la mobilisation de ses propres expertises, notamment dans un cadre interministériel. »


« Le recours par l’état aux conseils extérieurs, communication à la commission des finances du Sénat » Cour des Comptes, novembre 2014

La Cour des comptes a examiné, à la demande de la commission des finances du Sénat, les conditions dans lesquelles l’État a recours à des conseils extérieurs, c’est-à-dire les personnes, qu’elles soient privées ou publiques, délivrant des prestations intellectuelles dans lesquelles la part de « conseil » est supérieure à celle de « service ».

 

Ces prestations de conseil étant par nature très diverses, la Cour les a ordonnées, pour les besoins de l’enquête en cinq catégories :

– l’aide à la décision, qui comprend le conseil en stratégie, les travaux d’audit et d’évaluation à forte valeur ajoutée ;

– l’accompagnement de projets qui regroupe l’assistance à la maîtrise d’ouvrage de projets de transformation, les missions de réorganisation de structures et de processus et l’accompagnement du changement ;

– l’expertise dans un domaine spécifique, qu’il s’agisse en particulier du droit (conseil juridique), de la finance (conseil financier) ou de toute autre matière ;

– l’influence, à savoir, principalement, le conseil stratégique en communication et le travail d’influence ;

– la gestion des ressources humaines, par exemple

 

Les données transmises par les ministères, conduisent à estimer les dépenses de conseil extérieur à au moins 150M€ en moyenne par an entre 2011 et 2013. Quatre périmètres ministériels, l’économie et les finances, la défense, les services du Premier ministre et l’écologie, du fait des missions qu’ils exercent ou d’une ouverture « culturelle » plus importante vers le secteur privé, concentrent plus des trois quarts de la dépense entre 2011 et 2013.

Ce type de recours a connu une progression importante sur la période, particulièrement entre 2007 et 2010 (+ 110 %), en raison notamment du lancement de la révision générale des politiques publiques (RGPP), et d’une politique volontariste de recours à des cabinets extérieurs.

 

Selon les données de la fédération européenne des associations de conseils en organisation (FEACO), qui synthétise les données des fédérations nationales, la France recourt de façon plus modérée aux

conseils en organisation que les autres pays européens ; en 2011, les administrations publiques françaises dépensaient quatre fois moins (1,1 Md€) en conseil en organisation que leurs homologues britanniques (4,4 Md€) et près de trois fois moins que les administrations publiques allemandes (2,8 M€). La part du secteur public dans le chiffre d’affaires de ces cabinets se situait en dessous de la moyenne des pays considérés (20%) ; en France, elle représentait 13% de leur chiffre d’affaires contre 22 % au Royaume-Uni, 17% en Espagne, soit un niveau proche de l’Italie (12,5%) et supérieur à celui de l’Allemagne (9,4%).

Ces dépenses sont relativement concentrées sur un nombre limité de prestataires, les dix premiers cabinets de conseil représentant plus de 40 % du volume total de facturation entre 2011 et 2013.

 

Les constats :

1 Malgré leur caractère stratégique, les dépenses de conseil extérieur ne font pas l’objet d’un suivi particulier, ce qui rend leur estimation délicate

2 Répondant à des besoins multiples aux justifications inégalement pertinentes, le recours à des conseils extérieurs procède parfois, en l’absence de réflexion préalable sur son opportunité et de doctrine transversale, d’une logique de recours au « cas par cas » ; l’administration ne mobilise pas suffisamment, faute d’outils adaptés, les nombreuses compétences dont elle dispose en son sein.

3 l’administration n’a pas développé de savoir-faire spécifique en matière d’achat de prestations intellectuelles ; toutefois l’analyse des conditions tarifaires d’une sélection d’opérations n’a pas montré de défaillance majeure dans la maîtrise de la tarification des prestations

4 Des marges de progrès existent également pour sensibiliser à la fois les prestataires et les commanditaires aux questions de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts

5 Une fois engagée, l’action des consultants n’est pas suffisamment encadrée par l’administration. 6 L’impact final des interventions des conseils extérieurs est très rarement évalué, faute de définition ex ante d’indicateurs de résultat, de l’existence d’outils de suivi des prestations (rapports d’étape, tableaux de bord, etc.) et d’une procédure formalisée et systématique d’évaluation des prestations au moment de leur livraison ou quelque temps après. La Cour a relevé dans son enquête quelques exemples de missions ayant produit des résultats insuffisants, conséquence le plus souvent d’une mauvaise compréhension de l’objectif de la mission par les consultants ou de l’inadéquation des équipes mises à disposition. D’autres facteurs indépendants de la qualité des prestataires peuvent affecter l’efficacité des missions de conseil, comme par exemple des réorientations ou des arbitrages contradictoires en cours de mission ou l’urgence de la commande et la brièveté des délais impartis.

7 Le transfert de compétences au bénéfice des équipes internes de l’administration : ce processus est rarement organisé et mis en œuvre, faute d’avoir été prévu ab initio dans le marché de la prestation.

8 Les services de l’État ne disposent pas de procédures ou d’outils intelligents de « capitalisation » (bases de données) permettant de garder mémoire des travaux fournis par des conseils extérieurs, dont certains pourraient être réutilisés par d’autres administrations. La forte présence des consultants dans certaines administrations, jointe à une rotation rapide de l’encadrement, fait peser un risque de perte de mémoire portant sur certaines missions centrales de l’État.