Le rapport de Catherine BARBAROUX au sujet de l’entreprise individuelle, constats et propositions,


« Lever les freins à l’entreprenariat individuel : rapport au Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique », Catherine Barbaroux avec le concours de Laurent Moquin (CGEFi), décembre 2015

Le champ de l’entreprenariat individuel est considéré largement, sans se limiter au seul cas des chefs d’entreprise ayant choisi une forme d’entreprise sans capital, en incluant tous les entrepreneurs quel que soit le statut de leur entreprise (EI, micro-entrepreneur, EURL, SARL, SASU…) qui recherchent une activité exercée de manière indépendante et, le plus souvent dans un premier temps, sans salarié : ce que l’on peut résumer sous l’appellation de travailleurs indépendants isolés.

 

Les constats

 

1 Une connaissance incomplète des freins et des besoins ressentis par les entrepreneurs individuels, ainsi que de leurs trajectoires de croissance

Une convergence apparaît tant dans la nature de freins que dans leur hiérarchie, et également dans les ressorts des démarches entrepreneuriales : le manque de fonds personnels, la conjoncture économique, la complexité des démarches administratives, le manque d’expérience professionnelle, la crainte de pertes de revenus, le manque d’informations, la crainte de sacrifices dans la vie personnelle, le manque de réseau professionnel l’insuffisance de l’information et de l’accompagnement.

Les facteurs pénalisants, selon les Français, sont respectivement les relations entre les entreprises et les banques, l’Etat et le système éducatif (au regard des besoins des entreprises) ; en outre, les français pensent que c’est trop risqué financièrement, que c’est trop compliqué (alléger les normes et règles qui encadrent l’activité économique), sachant aussi qu’une partie d’entre eux n’ont pas l’esprit pour entreprendre.

Malgré les freins qui ralentissent le passage à la création, l’appétence est forte, d’autant que « créer son propre emploi dans un marché du travail incertain peut apparaître comme un risque moins grand quand l’insertion est précaire et la discrimination très importante ».

L’envie d’être indépendant est la première raison poussant à la création d’entreprise ; c’est une composante fondamentale de la structure du tissu des jeunes entreprises et un élément fondateur des politiques d’accompagnement de la croissance de ces jeunes entreprises.

Les trajectoires de croissance et les mécanismes de disparition des entreprises individuelles semblent faire l’objet d’analyse trop limitées : les premières années d’une entreprise donnent lieu à des analyses fines grâce aux enquêtes SINE (qui pourraient être encore mieux exploitées, voire enrichies à certains égards) : les étapes de croissance des entreprises (première embauche, changement de statut pour réunir des capitaux) sont soit inexistantes, soit peu accessibles.

 

2 L’insuffisance, la rigidité ou l’inadaptation des dispositifs d’information et d’accompagnement des créateurs.

L’entreprenariat est une forme d’emploi qui demeure peu mise en avant, alors que les faits et l’expérience prouvent que le talent entrepreneurial n’a que peu à voir avec le niveau scolaire, l’origine sociale, l’âge ou le sexe.

L’appui aux entrepreneurs est trop souvent conçu en termes de structures, au détriment de logiques de service : l’accès aux droits et aux informations utiles est toujours, notamment pour les plus fragiles ou les plus éloignés de l’emploi, un défi pour les institutions ; les « guichets » sont nombreux, peu articulés, segmentés et plus prompts à demander des informations, imposer des parcours ou décrire des obligations qu’à proposer des services adaptés ;  la « gestion administrative » de l’acte de création reste trop rigide

« Si les réseaux d’accompagnement et les structures d’appui locales ont pris une telle place dans le paysage de la création d’entreprises, mobilisant des milliers de bénévoles eux-mêmes professionnels, c’est bien que faisait défaut une offre de service sur mesure, construite au plus près des besoins des porteurs de projet ; ce foisonnement a son revers : multiplicité et complexité de l’offre, lisibilité difficile pour le créateur, sentiment de redondance pour les financeurs publics. Et ce d’autant que les niveaux d’intervention institutionnels se superposent : l’Etat intervient via des dispositifs d’accompagnement des demandeurs d’emplois (NACRE, Fonds de cohésion sociale pour les garanties, BPI…) pour partie en cours de décentralisation. Les régions, dans le cadre de leurs compétences de développement économique et de formation professionnelle proposent des aides spécifiques (principalement sous forme de primes à la création ou de fonds de prêts d’honneur) et les départements ou les collectivités territoriales ciblent également certains publics avec des aides locales. Sans oublier le rôle que joue Pôle emploi, la CDC et divers organismes paritaires dans la mise à disposition d’outils d’accompagnement. »

Or l’accompagnement des créateurs est un facteur essentiel de leur pérennité, de leur rentabilité et de leur développement.

Toutes les études le démontrent : l’accompagnement d’amont en aval, dans la durée et sur la base d’actions collectives et « sur mesure » est décisif. Les réussites les plus probantes se fondent sur l’accompagnement par un ou des professionnels, généralement bénévoles, qui apportent la confiance et les réponses concrètes au bon moment.

Il faut aussi souligner l’importance de l’amont c’est-à-dire l’émergence des projets : si la création d’entreprise, dans les quartiers, par les jeunes de moins de 30 ans a été multipliée par 3 en 10 ans, on le doit aussi au travail de proximité conduit par certaines associations (Planète Adam, Groupements de jeunes créateurs…).

« Or le financement reste problématique : insuffisant, aléatoire, rarement pluriannuel, alors même que la proximité et la continuité des interventions sont des gages de leur efficacité, d’autant que, comparé à d’autres dispositifs de retour à l’emploi, le coût de l’accompagnement d’un créateur d’entreprises est très modeste (moins de 2 000€) et son impact dans la durée est aisément mesurable et traçable. »

Or, seulement 20% des entreprises créées chaque année sont accompagnées : à peine 100 000 sur les 500 000 créations.  Ce chiffre pèse sur leur pérennité à 2 et 3 ans. Il pèse sur leur développement et leur rentabilité commerciale. Il pèse surtout sur leur capacité à créer de l’emploi.

 

3 L’effet dissuasif de la multiplicité des statuts juridiques et de la complexité des régimes fiscaux et sociaux sur la dynamique de création

En longue période, la revendication des entrepreneurs individuels ne varie pas : simplifications administratives et allégements des charges, protection juridique (distinction biens professionnels et biens personnels.)

« Concernant les régimes fiscaux et sociaux, on observe la même sophistication et complexité aggravée par l’ampleur de la « catastrophe industrielle » du RSI ; ce sujet est central et doit être remis à plat si on veut éviter des polémiques permanentes sur les distorsions entre les nouveaux entrants et les entrepreneurs ayant consolidé leur position depuis plusieurs années, qui ont parfois le sentiment d’une inégalité de traitement même si les comparaisons ne sont pas toujours probantes. C’est la condition nécessaire pour conserver les aspects positifs du régime de l’autoentrepreneur ».

A chaque fois que des menaces de remise en cause (campagne des présidentielles) ou des « aménagements » (débats et dispositions post loi de Juin 2014) sont intervenus, les effets ont été immédiats sur le nombre d’inscriptions : la baisse significative du nombre d’AE depuis le début de l’année (-17%), semble être en grande partie explicable par des mesures circonstancielles prises sans réelle étude d’impact ex ante.

 

4 L’étendue, devenue excessive, des restrictions de fait à la liberté d’installation en raison d’une interprétation souvent extensive des obligations de qualification professionnelle.

« La liberté d’installation qui est la règle commune en France depuis la loi Le Chapelier et à laquelle tout le monde se déclare attaché est strictement encadrée dans de nombreuses professions, principalement artisanales. » En Europe, on parle de 5 000 activités réglementées (50 millions d’emplois concernés) ; en France, l’inventaire réalisé pour la transposition de la directive relative aux qualifications professionnelles en dénombre 250 ce qui place la France dans une fourchette haute puisqu’on en dénombre 138 en Allemagne, 149 aux Pays Bas, 161 au Danemark, 169 en Italie, 189 en Espagne, 221 au Royaume uni.

Le rapport de l’lGF de 2013 qui a analysé plus particulièrement 37 de ces professions représentant plus d’un million de personnes (dont 7 professions artisanales : plombier, menuisier, serrurier, peintre, vitrier, plâtrier, taxi) fait apparaitre une évolution de la valeur ajoutée très supérieure à celle du PIB (+54% contre +35%). Effet de rente ? Tarification élevée liée à l’urgence ou la dépendance du consommateur ? Le potentiel d’emploi qui pourrait se dégager de l’allégement de certaines contraintes parait avéré pour tous les observateurs.

 

Plusieurs constats :

– s’il y a nombre de professions réglementées ou exigeant des qualifications à l’installation, beaucoup ne le sont pas ; Il est d’autant plus légitime de s’interroger que, déjà en 2009, un rapport remis à M Hervé Novelli par Anne de Blignères-Légeraud indiquait que « face aux transformations profondes qui affectent ces métiers et leur environnement, on ne peut manquer de poser la question d’une révision des critères et des modes de régulation ».

– Le traitement de nouveaux métiers ou services est nécessairement problématique et retardé, en particulier lorsque ces nouvelles activités sont proches, concurrentes ou associées à d’autres activés déjà réglementées, qui imposent alors leurs contraintes.

– lorsqu’une expérience professionnelle peut se substituer au diplôme, les modalités de son évaluation sont souvent complexes ou fluctuantes, l’interprétation des textes applicables n’étant pas aisée.

– les mécanismes de validation de l’expérience sont, en France, longs, compliqués (20 000 par an seulement), et coûteux en temps pour les candidats comme pour les jurys. Ils supposent souvent une expérience professionnelle continue, qui ne correspond pas à la discontinuité des parcours professionnels des personnes les plus en difficultés.

– s’il est difficile d’en quantifier les effets, il apparait que certaines barrières, mises en place pour l’essentiel il y a 20, excluent de l’entreprenariat nombre de personnes qui ont des compétences et pas de diplômes (jeunes décrocheurs, chômeurs de longue durée, seniors ou personnes en reconversion, travailleurs d’origine étrangère…) ; certains ont des savoir-faire qu’il faut trouver un moyen de reconnaitre pour leur ouvrir de nouvelles perspectives.

Surtout, on n’observe aucun problème de santé et de sécurité qui justifierait autant de contraintes.

 

Soulignons également :

– l’absence d’actualisation régulière des connaissances professionnelles;

– l’existence de certifications ou habilitations professionnelles parfois plus exigeantes et plus utiles que les formations initiales dans le domaine de la sécurité et de la santé ;

– l’arrivée de nouvelles activités non décrites par les nomenclatures actuelles ou de combinaisons d’activités qui supposent des polyvalences accrues pour des tâches assez simples

 

Trois axes d’actions prioritaires

Ø  Faciliter l’engagement entrepreneurial

– Réduire résolument la complexité et mieux le faire savoir

– Progresser en matière de simplification des statuts d’entreprise : élaborer un statut unique du travailleur indépendant, mais ceci est plus que complexe ; la mission propose à court terme de retenir le statut d’entreprise individuelle à responsabilité limitée comme statut de référence

Progresser en matière de fiscalité et de prélèvements sociaux avec 3 points d’importance : l’existence d’un régime de protection sociale spécifique avec des cotisations particulières, la mise en œuvre de cotisations minimales obligatoires et de cotisations sociales forfaitaires prévisionnelles de début d’activité et le fait de conserver la simplicité et la proportionnalité du régime du micro-entrepreneur.

– Mieux gérer la communication et la diffusion de l’information sur les mesures de simplification mises en œuvre en faveur des entreprises et améliorer l’accès à l’information utile

Assurer la promotion de l’entreprenariat par la mise en avant des réussites entrepreneuriales : exemple, le soutien à l’entreprenariat considéré comme une « grande cause nationale ».

Saisir les potentialités du numérique au profit des entreprises, notamment des plus petites entre elles : mieux recueillir et traiter l’avis des entrepreneurs individuels, tirer parti de la richesse des informations liées à l’immatriculation, faire évoluer les questionnaires périodiques des enquêtes SINE

Renforcer les appuis et les accompagnements en les optimisant : « Il ne s’agit évidemment pas de construire une trajectoire unique ou linéaire. Mais de s’assurer qu’à chaque étape clé une offre d’appui existe, qu’elle est accessible, rigoureuse et formalisée dans une sorte de « contrat d’appui entrepreneurial » porté à la connaissance de chaque créateur. Les bases communes de ce contrat mériteraient une validation garantissant un socle favorable à la prise en charge partielle ou au financement complet par des tiers de ces appuis. On peut en particulier songer aux financements apportés par Pôle Emploi à des chômeurs souhaitant créer une entreprise. »

  •   Libérer les initiatives entrepreneuriales

– Ajuster et accompagner les exigences de qualification professionnelle tout au long de la vie de l’entreprise ; une double certitude :

* si la qualification mène plus facilement à l’emploi, l’emploi peut aussi mener à la qualification,

* la possibilité de suivre une trajectoire de qualification tout au long de la vie est un puissant levier au service de l’égalité des chances et de la lutte contre l’exclusion

« Il serait souhaitable que la réflexion ne porte pas seulement sur le niveau et le contenu des formations, mais aussi sur le renouvellement ou l’actualisation des connaissances et sur la prise en compte des acquis de l’expérience. »

Il importe aussi de développer l’offre de formations personnalisées à la gestion pour consolider les projets et pérenniser les entreprises nouvelles

-Réduire les effets de seuil qui découragent les initiatives

Ø Sécuriser davantage les projets d’entreprise individuelle

– Développer la protection du chef d’entreprise quelle que soit l’issue de son activité entrepreneuriale : notamment constitution ou préservation de droits sociaux en cas d’alternance de périodes d’activités salariées et d’entreprenariat ou de conjugaison de périodes d’activités mixtes, ré-explorer les freins qui bloquent toujours, malgré les ajustements successifs, le développement de formes d’organisation qui allient autonomie et sécurité (Coopératives d’activité et d’emploi, portage salarial, groupements d’employeurs..)

– Aplanir les difficultés liées aux changements de statuts juridiques

– Renforcer la confiance dans les relations interentreprises où la DGCCRF occupe une place centrale et veille au bon fonctionnement des marchés et à la loyauté des transactions,

– Poursuivre la promotion des groupements d’entreprise, des coopératives d’activité, des grappes d’entreprises, qui permettent aux entrepreneurs individuels de briser leur isolement et de diminuer les effets pénalisants associés à leur taille

Renforcer la confiance des consommateurs dans les TPE, notamment en développant des instruments de médiation entre les consommateurs et les petites entreprises

– Faciliter le financement des projets à faible intensité capitalistique

« Il s’agit de concrétiser au moins l’un des deux espoirs suivants : trouver une clef qui débloque des initiatives en grande quantité, lever des contraintes variées qui individuellement n’apparaissent pas comme des obstacles déterminants… mais qui, combinées, finissent par anéantir quantité de projets. »