Centres de gestion agréés : un bilan de la Cour des Comptes


« Les organismes de gestion agréés, 40 ans après », Cour des Comptes, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, juillet 2014

Ces organismes agréés ont été créés en 1974 afin de pacifier les relations entre les travailleurs indépendants et l’administration fiscale (abattement de 10%, porté à 20% à la fin des années 1970, en matière d’impôt sur le revenu réservé jusqu’alors aux salariés en contrepartie d’un engagement de sincérité fiscale et de tenue d’une comptabilité, formalisé par l’adhésion à un organisme agréé). La réforme de l’impôt sur le revenu de 2006 a supprimé cet abattement en l’intégrant au barème de l’impôt sur le revenu et a instauré une majoration de 25% sur les revenus des professionnels non adhérents à un organisme agréé soumis à un régime réel d’imposition.

Les organismes de gestion agréés poursuivent en pratique plusieurs objectifs : aider les entrepreneurs individuels imposés au régime réel (BIC, BA, BNC) à remplir leurs obligations fiscales, alléger la gestion de l’impôt pour l’administration et mieux assurer la sincérité des déclarations fiscales de cette catégorie nombreuse de contribuables ; ils interviennent à la fois en amont (assistance à la télé-déclaration, aide à l’établissement des déclarations, respect des délais de dépôt, relances) et en aval des déclarations fiscales (observations qui peuvent conduire les adhérents à déposer des déclarations rectificatives).

Des dispositifs similaires aux organismes agréés existent dans de nombreux pays mais le système français est le seul à prévoir une incitation fiscale à l’adhésion des entreprises (en annexe du rapport, une approche internationale très fouillée)

Les pays européens continentaux (Italie, Allemagne) présentent un système d’intermédiaires fiscaux agréés et règlementés qui se rapproche du modèle français des organismes de gestion agréés avec pour but d’aider les petites entreprises à établir leur comptabilité ainsi que leur déclaration de revenus.

Dans les pays anglo-saxons (Canada, États-Unis, Royaume-Uni), les entreprises comme les particuliers se font généralement assister dans l’établissement de leur déclaration de revenus par des  «préparateurs» de déclarations ;  ils peuvent aussi bien être des experts-comptables, des avocats fiscalistes ou des particuliers offrant ce service.

On dénombre actuellement 432 organismes ; 44 fusions ont été recensées depuis 2009, du fait de la dématérialisation des déclarations fiscales et de l’automatisation des vérifications ; le nombre d’employés des organismes agréés a sensiblement diminué avec en 2012, 2 700 employés, contre environ 3 250 en 2009.

Les centres agréés possèdent en moyenne 2800 adhérents et les associations agréées 1800.

Les organismes agréés réalisaient en 2012 un chiffre d’affaires global de 243 M€, soit près de  564K€ par organisme agréé ; ce chiffre d’affaires correspond au montant des cotisations perçues auprès des adhérents ainsi qu’aux autres ressources perçues au titre de leurs missions accessoires (actions de formation personnalisées, transmission par l’adhérent des déclarations sur un support différent de celui requis, etc.), des placements financiers ou immobiliers ou des produits exceptionnels (10 M€ en 2012 soit 4% du chiffre d’affaires, et 24 000€ par organisme agréé).

Les enjeux fiscaux liés aux organismes agréés sont significatifs : les recettes fiscales provenant des entreprises individuelles imposées à l’impôt sur le revenu au régime réel représentaient 10 Md€ en 2012, correspondant à 79 Md€ de revenus déclarés ; elles provenaient des BNC pour 68% (7 Md€), de des BIC pour 21%(2 Md€) et des BA pour 11% (1 Md€) ; pour comparaison, ces recettes représentent 0,276Md€ pour l’ensemble des entreprises au forfait.

Certains avantages sont apportés aux adhérents :

* La réduction d’impôt pour frais de tenue de comptabilité (915€ non réévalué depuis 1994 et ne concerne que 6% des adhérents), représente un coût budgétaire pour l’État de l’ordre de 40M€ an.

* La déductibilité de la rémunération des conjoints mariés sous un régime exclusif de communauté est intégrale, dès lors qu’il s’agit d’un travail effectif donnant lieu au paiement des cotisations sociales, alors que cette déduction est plafonnée à 13 800€ pour les non adhérents.

* L’introduction en 2010 de la réduction du délai de reprise de l’administration fiscale de 3 à 2 ans a par ailleurs réduit l’efficacité du contrôle fiscal.

* Depuis le 1er janvier 2006, les adhérents qui font connaître spontanément aux services fiscaux les inexactitudes, insuffisances ou omissions que comportent leurs déclarations, bénéficient d’une exemption de majorations fiscales, hormis le cas de manœuvres frauduleuses.

Qui adhère ?

31% des entreprises ont intérêt à adhérer à un organisme agréé (1,25 million d’artisans, commerçants, industriels, agriculteurs et professions libérales) ; les autres n’y ont pas intérêt : 36% sont imposées à l’IS, 23% au forfait, et 10% déclarent des déficits, sans oublier les auto-entrepreneurs. 69 % des professionnels soumis à l’impôt sur le revenu au réel adhèrent à un organisme agréé (85% des professions libérales 77% des exploitants agricoles, contre 55% des artisans, commerçants et industriels) ; ce décalage provient notamment de ceux qui sont en déficit, bien plus nombreux au sein des BIC et se traduiront souvent par des cessations.

Le nombre d’adhérents des organismes de gestion agréés (1,1 million en 2012) demeure relativement stable, alors que le nombre de petites sociétés imposées à l’IS augmente (de 27 à 29% entre 2008 et 2012), tout comme les entreprises imposées au forfait passant de 18% en 2008 à 26% en 2012.

Sur la période 2009-2012, le nombre d’adhérents a augmenté de 3% (IS +83% en raison de la réduction du délai de reprise de l’administration en cas d’adhésion, qui bénéficie entre autres aux petites sociétés à l’IS,  BNC +12%, BA +2% et BIC -5%)

Nombre d’adhérents en milliers

BNC

BIC

BA

IS

Total

2012

460,1

452,1

203,7

15,2

1 131,1

2009

409,1

478,1

200,3

8,3

1 095,8

2008

Nd

485,2

196,7

9,0

650,9

2002

Nd

461,6

180,1

14,1

655,8

Répartition en 2012 en %

40,7

40,0

18,0

1,3

100

Evol 2008/2002 en %

Nd

+5

+9

-36

+5

Evol 2012/2009en %

+12

-5

+2

+83

+3

Les centres agrées contribuent-ils à réduire la fraude fiscale ?

L’INSEE montre que la fraude représenterait environ 25% des bénéfices des entreprises individuelles (20Md€ en 2006) ; plus de la moitié (12Md€) serait imputable à des dissimulations de recettes, le reste étant lié à des surestimations de charges ou à des minorations, à la fois, des recettes et charges ; ces fraudes  sont davantage le fait des entreprises au chiffre d’affaires et au résultat fiscal faibles.

La fraude sur le résultat représenterait 7,6% du chiffre d’affaires des entreprises au réel normal réalisant moins de 100 000 € de chiffre d’affaires, contre seulement 0,18% du chiffre d’affaires des entreprises au réel normal réalisant plus de 20 M€ de chiffre d’affaires ; la moitié de la fraude sur le résultat se concentre sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 3 M€, alors qu’elles réalisent seulement 13% du chiffre d’affaires total des entreprises au réel.

Réel normal

Réel  simplifié

Tranche de CA

Répartition de

la fraude

Sur le résultat

Taux de fraude

en % du CA

Répartition

Du CA

Tranche de CA

Répartition de

la fraude

Sur le résultat

Taux de fraude

en % du CA

Répartition

Du CA

Plus de 20M€

31,5

0,18

60,3

Plus de 1M€

1,6

2,8

7,0

De 10 à 20M€

4,9

0,28

7,1

De 200K à 1M€

23,7

5,8

51,4

De 3 à 10M€

10,0

0,38

10,6

De 100 à 200K€

26,7

14,3

23,2

De 1 à 3 M€

17,9

0,91

7,9

De 30 à 100K€

37,8

29,5

16,0

De 500K à 1M€

14,3

1,96

2,9

Moins de 30K€

10,1

53,3

2,4

De 100 à 500K€

18,5

3,79

2,0

     

100

Moins de 100K€

3,0

7,56

0,2

       

Ensemble

100

 

100

Ensemble

100

   
               

 Les organismes de gestion agréés examinent chaque année plus d’un million de déclarations fiscales avec 13% de déclarations rectifiées (7% à l’issue du contrôle formel et de 6% à l’issue de l’examen de cohérence) ; dans la mesure où il s’agit de deux filtres différents (contrôle formel et contrôle de fond), il peut s’agir des mêmes déclarations ou de déclarations différentes ; cette proportion est stable depuis une dizaine d’années

Les entreprises adhérentes déclarent un résultat fiscal légèrement plus élevé que les non adhérents quel que soit le chiffre d’affaires de l’entreprise pour des chiffres d’affaires inférieurs à 350 000€ ; leurs adhérents sont 1,5 à 2 fois moins contrôlés que les non adhérents et ce au fil des années.

Lorsque des contrôles fiscaux sur pièces sont réalisés sur des adhérents, des erreurs ou des fraudes sont constatées en moins grand nombre que chez les non adhérents ; en 2011, sur l’ensemble des adhérents ayant fait l’objet d’un contrôle sur pièces, 22% ont reçu une proposition de rectification de l’administration, contre 32% chez les non adhérents ; toutefois, lorsque les contrôles fiscaux sont conduits sur place auprès d’adhérents, la proportion de fraudes ou d’erreurs conduit 82% à recevoir une proposition de rectification de l’administration, au même niveau que chez les non adhérents.

Un compte rendu de mission positif n’est pas une garantie de la régularité d’une déclaration fiscale : en 2011, 21% ont fait l’objet d’un contrôle sur pièces et 83% de ceux ayant fait l’objet d’un contrôle sur place ont reçu une proposition de rectification. Le montant des droits rappelés est  toutefois  en moyenne plus faible pour les adhérents quelle que soit la tranche de chiffre d’affaires ; l’écart atteint même 2,7 fois pour les TPE aux BIC et 3,6 fois pour les TPE aux BNC.

Lorsque des irrégularités sont constatées à l’occasion de contrôles fiscaux chez des adhérents d’organismes agréés, elles semblent moins relever d’une fraude délibérée que chez les non adhérents ; ils font moins l’objet de pénalités, hors intérêts de retard ; pour les entreprises en BIC ou à l’IS, elles représentaient des montants 3 à 3,5 fois moins élevés en moyenne que pour les non adhérents ;  pour les entreprises BNC, les pénalités des adhérents étaient 2 fois moins élevées pour les PME et 6,5 fois moins pour les TPE.

« Le bilan des organismes agréés apparaît mitigé » :

– Le comportement fiscal des adhérents, apprécié à partir des résultats des contrôles fiscaux, apparaît plus sincère (résultat fiscal déclaré plus élevé, montants des redressements et pénalités plus faibles), mais la proportion de redressements à l’issue d’un contrôle fiscal est identique chez les adhérents et non-adhérents ; Il n’est pas possible en outre d’établir si cette meilleure sincérité fiscale résulte des travaux des organismes agréés ou d’un biais de sélection, les contribuables les plus sincères ayant une propension plus élevée à adhérer.

L’administration fiscale ne tient pas compte des contrôles préalables effectués par les organismes agréés pour programmer ses propres contrôles et ne communique pas systématiquement aux organismes agréés les résultats de ses propres contrôles fiscaux sur leurs adhérents.

– Les centres de gestion ont développé des missions annexes (aide à la gestion, formation, information) : en 2012, le taux de réalisation des dossiers de gestion dans les délais (six mois) était de 79% ; le dossier de prévention des difficultés (7 à 8% des dossiers examinés) ne concerne que 88% des adhérents, dans les délais règlementaires.

Les missions de formation à l’intention de leurs adhérents, portant sur des thèmes tels que les nouveautés fiscales et sociales, la gestion, la comptabilité, etc., oscillent entre 11 000 et 12 000 chaque année (en moyenne 10 bénéficiaires par formation), et ont touché 86 864 participants en 2012.

Mais ces missions annexes sont moins valorisées par les adhérents que leurs missions fiscales. Leur utilité n’est pas établie, étant fréquemment en double emploi avec des prestations qu’offrent les professionnels de l’expertise comptable et les chambres consulaires, d’autant que les adhérents se focalisent sur les missions fiscales.

– leur indépendance vis-à-vis des professionnels de l’expertise comptable s’avère insuffisante ; en pratique, si les organismes consulaires et les organisations professionnelles ont participé à la création d’organismes agréés, ils se sont depuis progressivement retirés des conseils d’administration des organismes agréés, au profit des experts-comptables.

L’indépendance des organismes agréés vis-à-vis de leurs membres fondateurs, professionnels de l’expertise comptable en particulier, est largement artificielle du fait des pratiques de sous-traitance, de la composition des organes de direction, voire plus généralement d’une imbrication à tous les niveaux (personnel, locaux, systèmes d’information, etc…) avec ces professionnels.

Les centres engendrent des coûts de gestion qui pourraient être réduits ; Les sommes versées aux membres des conseils d’administration s’élevaient en 2012 à 4,3M€, soit 10 000€ par organisme agréé, « ce qui n’apparaît pas négligeable pour des organismes constitués sous forme associative » ; les rémunérations pour fonctions techniques versées dans le cadre de la sous-traitance (dossiers de gestion, examens approfondis de déclarations fiscales, animation d’actions de formation ou d’information, travaux statistiques ou tenue de documents comptables) ; Les charges d’exploitation se sont montées en 2012 à 247M€ dont notamment 53% au titre des salaires et charges, 6% pour des prestations techniques en application des missions (exercées principalement par des experts-comptables) et 10% pour les administrateurs (frais de déplacement, fonctions électives).

– La constitution de réserves de trésorerie importantes (300 M€ en 2012, soit 120% de leur chiffre d’affaires annuel moyen), ne se justifie pas, même si ces réserves peuvent partiellement s’expliquer par un appel largement anticipé des cotisations (un an et demi avant la réalisation des travaux et une moyenne de 200€). Les organismes agréés disposent d’une trésorerie très importante représentant 298M€ au 31 décembre 2012, soit 690 000€ par organisme ou encore plus de 120% du chiffre d’affaires moyen ; en l’état actuel, elle permettrait de payer plus de deux années de salaires.

Le contrôle opéré par l’administration, trouverait matière à être renforcé.

Toutefois les adhérents manifestent une grande satisfaction : plusieurs enquêtes ont été menées par les fédérations d’organismes agréés sur leurs entreprises adhérentes pendant l’enquête de la Cour en février 2014 ; elles l’ont été faites sur une base volontaire et non à partir d’un échantillon représentatif.

96% des adhérents d’associations agréés et 89% des adhérents de centres agréés interrogés s’estiment satisfaits ou très satisfaits des services rendus par l’association.

Les missions fiscales des organismes agréés sont davantage valorisées par les adhérents, au détriment des missions annexes : 61%  mettent en avant des missions de nature fiscale (sécurité fiscale, gestion des obligations administratives, meilleure perception de l’administration fiscale, meilleure connaissance des obligations fiscales), contre seulement 36% pour les missions annexes (outil d’amélioration de la gestion professionnelle, meilleure connaissance du secteur professionnel, formations) ; Pour les associations agréées, le résultat est similaire.

En conclusion, « La suppression du dispositif n’apparaît ni souhaitable ni envisageable, mais une réorientation du dispositif s’impose afin de rééquilibrer au bénéfice de la collectivité le bilan coûts-avantages, en renforçant les missions fiscales pour améliorer leur contribution à la sincérité fiscale et rationaliser le fonctionnement du système.

En plus des coûts liés à l’assistance des contribuables dans l’établissement de leurs déclarations, la reprise des missions des organismes agréés au sein de l’administration fiscale se traduirait par des coûts liés aux contrôles sur pièces supplémentaires engendrés par la disparition de l’examen de concordance, de cohérence et de vraisemblance préalable ; le coût unitaire du contrôle sur pièces est de 655€ ; la reprise de ces missions se traduirait par 28 000 contrôles sur pièces (un coût de 18,34 M€). Au total, la reprise des missions des organismes agréés au sein de l’administration représenterait un coût de l’ordre de 100 M€.

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