Jeunes sans qualification : l’apprentissage “sur le tas”, un atout vérifié.


«Apprendre dans le travail», une autre voie vers la qualification : regards croisés Argentine / France / Maroc / Sénégal", Cereq, Bref N°437, lu mai 2023

Méthodologie : étude soutenue par l’Agence Française de Développement (AFD) et coordonnée par le Céreq, réalisée entre 2020 et 2022, en partenariat avec le CIS-CONICET (Argentine), l’INE-CSEFRS (Maroc) et l’ONFP (Sénégal) ; elle visait à confronter les moyens et les conditions de développement et de reconnaissance des compétences via les «apprentissages dans le travail»  Une enquête exploratoire par entretiens semi-directifs, suivant un guide d’entretien commun, a été réalisée par les équipes nationales respectives auprès de jeunes peu qualifiés, d’employeurs et d’acteurs institutionnels, en questionnant des environnements de travail comparables dans les 4 pays, d’où le choix du secteur du BTP comme terrain d’enquête. Quel que soit le pays, ces environnements présentent plusieurs traits communs (présence de jeunes peu qualifiés en début de carrière, forte incidence des apprentissages dans le travail sur le développement des compétences, validation des acquis de l’expérience). 

 

La formation sur le tas, le temps du recul sur les pratiques et la valorisation par la VAE sont des atouts pour insérer ces jeunes sans grande qualification.

⇒ La situation dans ces 4 pays

-En Argentine, environ un jeune sur cinq n’est ni scolarisé, ni en activité professionnelle ; près de 70% des jeunes n’ayant pas achevé le cycle secondaire évoluent dans des emplois informels qui représentent 34% des emplois totaux.

-En France, 14,4% des jeunes de 18-24 ans sont considérés en situation de NEET en 2021 (ni dans un cursus scolaire, ni en formation, ni en activité professionnelle) ; parmi eux, la part des non diplômés qui n’ont jamais travaillé est estimée à 20%.

-Au Maroc, près de 29% des jeunes de 15-24 ans sont considérés en situation de NEET ; l’emploi informel est estimé à 36% du total des emplois ; la majorité d’entre eux n’a pas dépassé le niveau scolaire primaire, et un tiers d’entre eux a moins de 35 ans.

-Le Sénégal a engagé diverses initiatives pour l’emploi et la formation des jeunes, souvent orientées vers l’auto entrepreneuriat et l’accès au crédit ; près de 33% des jeunes de 15-24 ans sont considérés en situation de NEET ; la part d’emplois du secteur informel est estimée à 69% des emplois totaux ; 40% des travailleurs de l’économie informelle ont entre 15 et 35 ans.

 

Parmi les jeunes interviewés, souvent issus de milieux défavorisés et ou de zones périphériques urbaines ou rurales, l’accès ou le retour aux appareils formels de formation ne va pas de soi. La précarité de l’emploi marque souvent leur entrée sur les marchés du travail. Dans le BTP, une majorité de recrutements se fait sur des durées limitées, souvent le temps du chantier.

 

Parmi les facteurs propices à l’apprentissage dans le travail, la dynamique du secteur professionnel (en difficulté de recrutement acceptant des jeunes formés “sur le tas”) et la motivation personnelle des jeunes (rémunération, indépendance vis à vis de la famille) apparaissent fondamentales. 

⇒ Privilégier les interactions pour apprendre dans le travail

♦ Les interactions avec d’autres travailleurs, expérimentés, s’affirment comme le 1er vecteur d’apprentissage, consistant à «mimer », en reproduisant les gestes, démarches, procédures, ou à échanger verbalement en utilisant un langage technique, dans la transmission des consignes notamment, parfois soutenue par des schémas ou des dessins, mais la question linguistique peut être cruciales. En termes d’organisation du travail, la constitution de binômes jeune et travailleur expérimenté est présente dans les quatre pays et s’avère généralement efficace.

 

Les apprentissages dans le travail peuvent aussi être stimulés par des échanges au sein de réseaux de solidarité (communauté professionnelle), basés sur la proximité d’origines (famille, région).  

 

♦ Le retour réflexif et la diversification des tâches sont 2 leviers diversement mis en œuvre

 

Le retour réflexif opéré sur le travail réalisé consolide l’assimilation des nouvelles compétences. Ce temps de réflexion, qui arrive souvent de façon inopinée lors de discussions avec les collègues de travail, pourrait être davantage institutionnalisé, alors qu’ils sont négligés, voire perçus par les employeurs comme improductifs. Exemple des Compagnons du Devoir, en France, où les jeunes se retrouvent en étude chaque soir pour discuter du travail réalisé au cours de la journée et améliorer les pratiques, ou encore les réunions de chantier où sont exprimées et corrigées les erreurs.

 

Certaines pratiques freinent ces possibilités de progression : le recours massif à la sous-traitance, le travail intérimaire, la parcellisation des tâches, le cantonnement des travailleurs moins qualifiés à des tâches basiques, et la priorité accordée à la productivité et à la rentabilité immédiates.

⇒ Le recours à la validation des acquis de l’expérience (VAE) reste encore limité

S’ils bénéficient d’une reconnaissance des milieux professionnels, leur valeur sociale est toutefois moins bien perçue par les jeunes et leur famille. L’évaluation du candidat est souvent organisée par le syndicat et l’entreprise du salarié,

Toutefois, les nouvelles compétences acquises peinent à être reconnues, parce que soumises à l’appréciation des employeurs.

 

Par ailleurs, très peu de salariés ou d’employeurs en ont connaissance. Pourtant, une fois la démarche explicitée, une majorité s’accorde sur les effets positifs de la VAE en matière de valorisation des compétences, d’employabilité, d’amélioration du niveau de salaire, de gestion des carrières, de fidélisation de la main-d’œuvre ou encore de réduction des coûts de formation.

 

” il reste pertinent d’implémenter des outils intermédiaires, des formes plus souples de reconnaissance, d’une portée plus limitée, ouvrant par exemple à la reconnaissance au sein d’une branche, d’un secteur, d’un groupement d’entreprises, capables de sécuriser davantage les trajectoires professionnelles des individus. Les observations conduites dans les 4 pays témoignent des avancées déjà opérées et de la belle marge de progrès qui invite à les poursuivre.”

 

Pour en savoir davantage : https://www.cereq.fr/sites/default/files/2023-04/Bref_437_web.pdf